Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de commerce de Paris, ordonnance de référé du 30 avril 2020
Majordom', Digital Solutions Prod et autres / Google Ireland Ltd et Google France
droit de la concurrence - moteur de recherche - pratiques anti-concurrentielles - publicité en ligne
Google Ireland Limited (ci-après « Google Ireland ») est la principale filiale européenne de Google LLC, société fondée en 1998 en Californie, qui propose aux internautes un service de moteur de recherche gratuit. Les recettes de Google découlent notamment de la publicité qu’elle diffuse, en particulier via son programme « Google Ads » qui est le programme de publicité liée à la recherche de Google exploité Google, notamment en Europe par Google Ireland.
Google Ads est un service de vente d’espace publicitaire qui offre aux annonceurs la possibilité d’afficher des publicités sur le site du moteur de recherche de Google en fonction des termes de recherche qui ont été tapés par les internautes.
Google France est le gestionnaire en France des liens sponsorisés.
Dans la suite de l’ordonnance les sociétés Google Ireland et Google France seront désignées conjointement sous le nom de « Google » sauf précision spécifique.
Les demanderesses exploitent toutes un service de renseignements téléphoniques (numéros commençant par 118). Ces services, qui ont remplacé le 12, proposent au consommateur de lui fournir par téléphone les coordonnées d’un particulier ou d’un professionnel, et de le mettre en relation avec le numéro recherché.
Majordom’ est fournisseur du service de renseignements téléphoniques 118 818 autorisé par l’ARCEP.
Digital Solutions Prod est fournisseur des services de renseignements téléphoniques 118 002 et 118 300 autorisés par I’ARCEP.
Premium Audiotel et E-Guide Limited sont ou ont été fournisseurs du service de renseignements téléphoniques 118 609 autorisé par I’ARCEP. Leur relation contractuelle avec Google fait débat entre les parties dans le cadre de la présente instance.
Aowoa est fournisseur du service de renseignements téléphoniques 118 999 autorisé par
I’ARCEP.
Le 11 septembre 2019, Google a annoncé sa décision de modifier ses conditions générales, à savoir la règle Google Ads relative aux « Autres activités soumises à restriction», en vue de ne plus autoriser les annonces pour les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement d’appel. Cette décision devait prendre effet trois mois après, en décembre 2019.
Des discussions se sont déroulées entre les parties en septembre et octobre 2019 et Google a annoncé en décembre 2019 le report de sa mesure d’exclusion des services de renseignements téléphonique du service Google Ads en mars 2020.
C’est dans ces circonstances que les sociétés SAS Majordom’, SAS Digital Solutions Prod, SAS Premium Audiotel, Société de droit anglais E-Guide Limited, SAS Aowoa, aux termes d’une ordonnance rendue par M. le président de ce tribunal en date du 17 février 2020, l’autorisant en application des dispositions de l’article 485 du CPC à assigner en référé d’heure à heure pour l’audience du 6 mars 2020, nous demande par acte du 21 février 2020, et pour les motifs énoncés en sa requête de :
Vu l’article 873 du Code de procédure civile,
Vu l’article L. 420-2 du Code de commerce,
Vu la décision de l’Autorité de la Concurrence du 19 décembre 2019 no19-D-26,
Vu la jurisprudence citée,
Vu l’annonce Google non signée intitulée « Nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels (mars 2020) »
Vu les pièces versées aux débats,
Dire que l’annonce non signée, intitulée « Nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels (mars 2020) », publiée sur la page web https://support.Google.com/adspolicy en septembre 2019 et modifiée en décembre 2019, et annonçant l’exclusion sans date précise et selon des modalités non claires, des Sociétés de services de renseignements téléphoniques réglementés en France, du service Google Ads (anciennement « Google Adwords »), constitue un trouble manifestement illicite causant un dommage imminent aux Sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa au sens de l’article 873 du Code de Procédure Civile,
En conséquence, en l’état de l’annonce Google intitulée « Nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels (mars 2020) »et à titre conservatoire :
Ordonner, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard, aux sociétés Google France et Google Ireland Limited, le report de la mesure annoncée, publiée en septembre 2019 et modifiée en décembre 2019, intitulée « Nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels (mars 2020)», pour les Sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa, pour un délai de six (6) mois à compter de l’Ordonnance à intervenir, nonobstant l’application par Google France et Google Ireland Limited de son actuel contrat avec les Sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa, durant ce temps.
En tout état de cause :
Condamner in solidum les sociétés Google France et Google Ireland Limited au paiement de la somme de 7.000 euros respectivement aux sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’audience du 6 mars 2020, nous avons remis la cause au 3 avril 2020 pour conclusions en réplique du demandeur.
L’audience du 3 avril 2020 a été annulée en raison la pandémie de COVID-19.
En application de l’article 7 de l’ordonnance no2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, les parties ont été invitées à comparaître devant Monsieur Laurent Levesque, président, à l’audience du 22 avril 2020 à 11h, qui s’est tenue en visioconférence via la plateforme Tixeo. Un procès-verbal des opérations effectuées est dressé par le greffier.
Ce jour, les conseils des sociétés Google Ireland Limited et Google France déposent des conclusions motivées aux termes desquelles ils nous demandent de :
Vu les Conditions Générales Google Ads applicables aux annonceurs situés au Royaume Uni,
Se déclarer incompétent au profit des juridictions anglaises s’agissant des demandes de la société E-Guide.
Vu les articles 122, 31 et 32 du Code de procédure civile,
Prononcer la mise hors de cause de Google France ;
Juger que les demandes des sociétés E-Guide et Premium Audiotel sont irrecevables.
Vu l’article 873 du Code de procédure civile,
Débouter les sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, E-Guide, Premium Audiotel et
Aowoa de l’intégralité de leurs demandes.
En tout état de cause,
Condamner chacune des sociétés Majordom’, Digital Solutions Prad, E-Guide, Premium
Audiotel et Aowoa à verser aux sociétés Google lreland et Google France la somme de
10.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner les sociétés Majordom’, Digital Solutions Prad, E-Guide, Premium Audiotel et
Aowoa aux entiers dépens.
Les conseils des sociétés SAS Majordom’, SAS Digital Solutions Prod, SAS Premium Audiotel, Société de droit anglais E-Guide Limited, SAS Aowoa déposent des conclusions motivées aux termes desquelles ils nous demandent, dans le dernier état de leurs prétentions, de :
Vu l’article 873 du Code de procédure civile,
Vu l’article L. 420-2 du Code de commerce,
Vu la décision de l’Autorité de la Concurrence du 19 décembre 2019 no19-D-26,
Vu la jurisprudence citée,
Vu l’annonce Google non signée intitulée « Nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels (mars 2020) »
Vu les pièces versées aux débats,
– Se déclarer compétent pour juger la présente affaire,
– Dire que les demandes des sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod , Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa sont parfaitement recevables,
– Dire que la société Google France ne peut être mise hors de cause dans le cadre de la présente affaire,
– Dire que l’annonce non signée, intitulée « Nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels (mars 2020} »,
publiée sur la page web https://support.Google.com/adspolicy en septembre 2019 et modifiée en décembre 2019, et annonçant l’exclusion sans date précise et selon des modalités non claires, des Sociétés de services de renseignements téléphoniques règlementés en France, du service Google Ads (anciennement « Google Adwords »), constitue un trouble manifestement illicite causant un dommage imminent aux Sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa au sens de l’article 873 du Code de Procédure Civile,
– Constater que les sociétés Google France et Google Ireland Limited ont refusé de publier, depuis la nuit du 30 mars au 31 mars 2020, toutes les annonces des sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa en dépit de la présente instance et de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le Gouvernement Français en raison du Covid 19,
En conséquence en l’état de l’annonce Google intitulée « Nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels
(mars 2020} » mise en application dans la nuit du 30 au 31 Mars 2020, et à titre conservatoire:
– Ordonner sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la décision à intervenir, aux sociétés Google France et Google Ireland Limited, le rétablissement de la publication et de la diffusion des annonces en lien avec le service réglementé des renseignements téléphoniques, des comptes Google Ads des sociétés Majordom’, Dgital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa telles qu’elles étaient diffusées avant la mesure d’exclusion appliquée par les défenderesses dans la nuit du 30 au 31 Mars 2020.
– Dire que cette mesure de rétablissement intervient dans le cadre du contrat ayant lié ou liant chacune des parties avec Google au titre du service Google Ads et que les parties restent soumises au respect de ses dispositions.
– Donner acte que le rétablissement ainsi ordonné, s’applique dans l’attente d’une décision au fond du Tribunal de Céans statuant sur la validité de la mesure d’exclusion
contestée, étant entendu que les sociétés Majordom’, Digital Solutions Pord, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa s’engagent à assigner au fond les sociétés Google France et Google Ireland Limited dans un délai de (2) deux mois à compter de l’Ordonnance à intervenir.
En tout état de cause :
– Débouter les sociétés Google France et Google Ireland Limited de la totalité de leurs demandes, fins et prétentions,
– Condamner in solidum les sociétés Google France et Google Ireland Limited au paiement de la somme de 7.000 euros respectivement aux sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, Premium Audiotel, E-Guide Limited et Aowoa au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Après avoir entendu les conseils des parties en leurs explications et observations, nous avons remis le prononcé de notre ordonnance, par mise à disposition au greffe, le jeudi 30 avril 2020 à 16h.
DISCUSSION
Sur la compétence territoriale relative à E-Guide ltd
L’exception d’incompétence ayant été soulevée avant toute défense au fond ou fin de nonrecevoir, nous la dirons recevable.
Google, demanderesse à l’exception, soutient qu’E-Guide ltd, ayant son siège social au
Royaume Uni, a accepté les conditions générales applicables aux annonceurs britanniques qui prévoient une clause attributive de compétence au profit des tribunaux anglais
Les demanderesses, défenderesses à l’exception, versent aux débats la décision de I’ARCEP ayant transféré de E-Guide ltd à Premium Audiotel le numéro 118 609. Elles soutiennent que, du fait de ce transfert, E-Guide ltd est devenue l’agent de publicité de Premium Audiotel et a donc accepté de se soumettre aux conditions générales de
Google France qui prévoient la compétence du tribunal de commerce de Paris en cas de litige;
Nous relevons que les demanderesses ne procèdent toutefois que par affirmations et ne
versent aux débats aucun élément probant au soutien de leurs allégations relatives à
l’existence d’un mandat d’agent de publicité.
Nous retenons qu’E-Guide ltd échoue à démontrer la compétence du tribunal de céans.
En conséquence, nous renverrons les parties à mieux se pourvoir, s’agissant des demandes
d’E-Guide ltd.
Sur la demande de mise hors de cause de Google France
Nous relevons que la SARL Google France, seule société à intervenir légalement en
France et à développer l’activité du groupe Google sur le territoire national, est présentée aux yeux du public français comme étant le gestionnaire des liens sponsorisés et qu’elle se comporte comme responsable sur le territoire français de l’activité publicitaire du site Internet Google France ;
Nous débouterons en conséquence les défenderesses de leur demande mise hors de cause
de Google France.
Sur les demandes visant l’irrecevabilité des demandes de E-Guide ltd et Premium Audiotel
Nous rappelons que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ; que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ; qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
> Sur l’absence d’intérêt à agir d’E-Guide ltd
Nous rappelons que nous nous sommes ci-dessus déclaré incompétent au profit des juridictions anglaises s’agissant des demandes d’E-Guide ltd.
Nous dirons en conséquence n’y avoir lieu à statuer sur la fin de non-recevoir visant cette société.
> Sur l’absence de qualité à agir de Premium Audiotel
Nous relevons que le compte Google Ads dePremium Audiotel a été définitivement suspendu le 2 mai 2018 pour non-paiement de ses factures, et que le tribunal de céans a rejeté le 26 novembre 2018 l’intégralité des demandes d’indemnisation que Premium Audiotel avait formées contre Google Ireland au titre de prétendus manquements contractuels (pièce Google n°18).
Nous retenons que, comme nous l’avons déjà relevé supra, Premium Audiotel ne verse aux débats aucun élément probant au soutien de ses allégations relatives au fait qu’elle serait un annonceur représentée par E-Guide ltd en qualité d’agent de publicité ; que Premium Audiotel n’a donc plus aucune relation contractuelle avec Google Ireland depuis mai 2018 ; qu’elle n’a pas qualité pour demander en référé que les conditions contractuelles actuellement en vigueur soient modifiées en ce qui la concerne, et que l’application de la règle sur les services de renseignements téléphoniques soit suspendue à son bénéfice pour six mois.
Nous dirons donc Premium Audiotel irrecevable pour défaut de qualité à agir.
Sur la demande de rétablissement sous astreinte de la publication et de la diffusion des annonces en ligne avec les services réglementés des renseignements téléphoniques des demanderesses
Nous rappelons que nous pouvons, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
S’agissant du trouble manifestement illicite, nous rappelons que celui-ci s’entend de toute
perturbation résultant d’un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente d’une règle de droit (y compris la violation évidente d’une stipulation contractuelle).
Les demanderesses au soutien de leurs allégations relatives à l’existence d’un trouble
manifestement illicite exposent que :
– L’annonce de Google est imprécise, opaque et discriminatoire,
– Google détient sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches une position dominante,
– Google se rend coupable, à l’encontre des demanderesses, de refus de vente,
Les défenderesses répliquent que le trouble manifestement illicite n’est pas démontré :
– Les demanderesses ne démontrent pas le comportement abusif de Google dès lors que la nouvelle règle est claire et précise, n’est pas discriminatoire et ne constitue pas un refus de vente au sens de la jurisprudence de la CJUE.
– Elles de démontrent pas non plus l’existence d’une restriction sensible de concurrence sur le marché en cause.
Nous relevons que, selon les dires mêmes de Google, l’un des opérateurs de renseignements téléphoniques dont le compte Google Ads avait été suspendu, la société Amadeus, a saisi l’Autorité de la concurrence en mai 2018 d’une plainte et d’une demande de mesures conservatoires au motif que Google aurait abusé de sa position en suspendant son compte Google Ads et en refusant certaines de ses annonces.
Par décision du 31 janvier 2019, l’Autorité de la concurrence statuant sur la demande de
mesures conservatoires d’Amadeus a considéré à titre provisoire qu’en l’état des éléments produits au débat, les pratiques de Google à l’égard d’Amadeus étaient susceptibles de constituer un abus de position dominante parce qu’elles étaient susceptibles (i) de caractériser une rupture brutale des relations commerciales avec cette société dans des conditions qui n’étaient pas objectives et transparentes et (ii) d’être regardées comme discriminatoires par rapport à d’autres fournisseurs de services payants de renseignements téléphoniques en 118. Elle a en conséquence ordonné un certain nombre de mesures conservatoires à l’encontre de Google dans l’attente de l’issue de l’instruction au fond, et lui a notamment demandé de clarifier les règles Google Ads applicables aux services payants de renseignements par voie électronique.
Google soutient :
– qu’elle a mis en œuvre les mesures conservatoires ordonnées par l’Autorité de la concurrence et a soumis à celle-ci un rapport détaillant les actions qu’elle a entreprises en exécution de chacune des mesures conservatoires,
– qu’elle a informé l’Autorité de la concurrence de cette décision avant de la mettre en œuvre, lors d’une conférence téléphonique qui s’est tenue le 4 septembre 2019 et qui a été suivie d’un email,
– que le rapporteur à l’Autorité de la concurrence a accusé réception de cet email et n’a formulé aucune objection.
Nous relevons toutefois que l’Autorité de la Concurrence s’est simplement contentée d’adresser un courriel d’accusé réception à Google (pièce Google N°24), rédigé dans les termes suivants, qui ne constituent pas une approbation formelle de la mesure d’exclusion des services de renseignements téléphoniques du service Google Ad :
« Maitres,
Nous accusons réception de votre courrier électronique.
Bien cordialement. »
Nous retenons que les demanderesses démontrent ainsi l’existence d’un trouble manifestement illicite.
S’agissant du dommage imminent, nous rappelons que la question de l’imminence d’un
dommage est à notre appréciation et s’apprécie au moment où nous statuons, avec l’évidence qui s’impose à nous – le dommage imminent étant celui qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.
Nous relevons que l’Autorité de la Concurrence, dans sa décision no19-D-26 du 19 décembre 2019, a souligné dans les termes suivants la dépendance des sociétés de services et renseignements téléphoniques au trafic généré par les annonces Google Ads :
« § 461 : Une proportion significative des sites non adossés à des grands groupes a en effet recouru de façon intensive au référencement payant dans les trois secteurs concernés par l’étude économique sur la période 2004-2018. Ainsi, près d’un tiers des sites non adossés à des grands groupes dans les secteurs de l’information sur les entreprises a eu plus de [80 – 90] % de clics payants parmi les clics reçus de Google. Dans le secteur des annuaires, [Ndr : comprenant, aux termes de l’article 34 du code des postes et des communications électroniques, les services de renseignements téléphoniques] huit des vingt premiers sites non adossés à des grands groupes ont eu plus de [80 – 90] % de clics payants parmi les clics reçus de Google, et plus de la moitié des vingt premiers sites ont eu la moitié ou plus de clics payants parmi les clics en provenance de Google. (…)
Il a été constaté que les suspensions ou fermetures de comptes Google Ads résultant de l’application par Google de ses Règles litigieuses se sont traduites par des diminutions très substantielles des trafics et des chiffres d’affaires des sites internet concernés, contrastant avec les croissances affichés par ces sites lorsqu’ils avaient accès à Google Ads. »
Les demanderesses versent aux débats des attestations de leurs dirigeants, établies conformément aux prescriptions légales, précisant que :
« Sur les exercices 2018 et 2019, le chiffre d’affaire de la société Majordom’ généré grâce au service Google Ads était de 88%,
sur les exercices 2017, 2018 et 2019, le chiffre d’affaires de la société Digital Solutions
PROD généré grâce au service Google Ad était de 95%, ( …)
sur l’exercice 2019, le poste auprès du service Google Ads et le service de renseignements téléphoniques représentait 96,42% du chiffres d’affaires de la société Aowoa. ».
Google soutient enfin, et surabondamment, que les demanderesses ont elles-mêmes créé
leur propre urgence en attendant pour assigner devant nous en référé d’heure à heure plus de cinq mois après l’annonce de la nouvelle règle sur les services de renseignements téléphoniques, ce qui démontrerait en soi l’absence de toute urgence.
Nous relevons toutefois que, dès l’annonce en septembre 2019 par Google de sa décision
d’exclure les services de renseignements téléphonique du service Google Ads en décembre 2019, les demanderesses ont demandé des explications à Google ; que celle-ci a annoncé en décembre 2019 le report de sa mesure d’exclusion des services de renseignements téléphonique du service Google Ads en mars 2020 ; que les demanderesses ont assigné les défenderesses d’heure à heure devant nous dès le 20 février 2020; que l’instance est venue à notre audience du 6 mars 2020, alors que les demanderesses n’avaient reçu, ce qui n’est pas contesté par Google, les conclusions des défenderesses que la nuit précédente ; que nous avons renvoyé l’affaire à notre audience du 3 avril 2020 ; qu’il n’est pas contesté que Google a cessé de publier, depuis la nuit du 30 mars au 31 mars 2020, toutes les annonces des demanderesses ; que notre audience du 3 avril 2020 n’a pu se tenir à cause de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le Gouvernement français en raison du Covid 19 ; que les demanderesses se sont rapprochées du greffe du tribunal dès le 1er avril 2020 et ont demandé à celui-ci de leur faire part de toute information utile, notamment en ce qui concerne la reprise des audiences, ou le fait que leur procédure de référé d·heure à heure puisse être traitée de façon prioritaire.
Nous retenons que les demanderesses n’ont pas fait preuve dans la mise en œuvre de leur
demande de procédure conservatoire d’une négligence dans la défense de leurs intérêts susceptible de démontrer l’inutilité des mesures qu’il nous est demandé d’ordonner.
Nous retenons que la décision de l’Autorité de la concurrence et les attestations des
demanderesses permettent d’établir l’existence d’un dommage imminent, et que les défenderesses échouent à démontrer que les demanderesses aient, par négligence, créé leur propre urgence.
Nous ordonnerons en conséquence aux défenderesses, sous astreinte in solidum de 100.000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de la présente décision, pour une durée d’un mois à l’issue de laquelle il pourra de nouveau être fait droit, le rétablissement de la publication et de la diffusion des annonces en lien avec le service réglementé des renseignements téléphoniques, des comptes Google Ads des sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod et Aowoa telles qu’elles étaient diffusées avant la mesure d’exclusion appliquée par les défenderesses dans la nuit du 30 au 31 Mars 2020.
Nous dirons que cette mesure de rétablissement intervient dans le cadre du contrat ayant lié ou liant chacune des parties avec Google au titre du service Google Ads et que les parties restent soumises au respect de ses dispositions.
Nous donnerons acte aux demanderesses que le rétablissement ainsi ordonné, s’applique
dans l’attente d’une décision au fond du tribunal de céans statuant sur la validité de la mesure d’exclusion contestée, et que les sociétés Majordom’, Digital Solutions Prod, et Aowoa s’engagent à assigner au fond les sociétés Google France et Google Ireland Limited dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision.
Nous dirons que faute pour les demanderesses de respecter cet engagement, les
défenderesses pourront reprendre la mise en œuvre de la mesure de cessation de publication des annonces des demanderesses dès l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision.
Sur l’article 700 du CPC et les dépens
Il parait équitable, compte tenu des éléments fournis, d’allouer aux demanderesses une
somme de 7.000 €, en application de l’article 700 du CPC, les déboutant pour le surplus, et de condamner les défenderesses in solidum aux dépens.
DECISION
Statuant par ordonnance contradictoire en premier ressort,
Sur l’exception d’incompétence,
Vu l’article 81 du CPC
Disons les défenderesses recevables en leur exception d’incompétence,
Renvoyons les parties à mieux se pourvoir, s’agissant des demandes d’E-Guide ltd ;
Disons n’y avoir lieu à statuer sur la fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt à agir visant cette société ;
Déclarons Premium Audiotel irrecevable pour défaut de qualité à agir ;
Vu l’article 873 du CPC,
Déboutons les défenderesses de leur demande mise hors de cause de Google France ;
Ordonnons à Google Ireland Limited et Google France, sous astreinte in solidum de 100.000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de la présente décision, pour une durée d’un mois à l’issue de laquelle il pourra de nouveau être fait droit, le rétablissement de la publication et de la diffusion des annonces en lien avec le service réglementé des renseignements téléphoniques, des comptes Google Ads des sociétés Majordom’, Digital Solution Prod et Aowoa telles qu’elles étaient diffusées avant la mesure d’exclusion appliquée par les défenderesses dans la nuit du 30 au 31 Mars 2020 ;
Disons que cette mesure de rétablissement intervient dans le cadre du contrat ayant lié ou liant chacune des parties avec Google au titre du service Google Ads et que les parties restent soumises au respect de ses dispositions ;
Donnons acte à Majordom’, Digital Solutions Prod, et Aowoa que le rétablissement ainsi ordonné, s’applique dans l’attente d’une décision au fond du tribunal de céans statuant sur la validité de la mesure d’exclusion contestée, et qu’elles s’engagent à assigner au fond les sociétés Google Ireland Limited et Google France dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision ;
Disons que, faute pour Majordom’, Digital Solutions Prod, et Aowoa de
respecter cet engagement, Google Ireland Limited et Google France pourront reprendre la mise en œuvre de la mesure de cessation de publication des annonces des demanderesses dès l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision ;
Rejetons les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;
Condamnons les Google Ireland Limited et Google France à payer in solidum aux demanderesses la somme de 7.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC ;
Condamnons in solidum Google Ireland Limited et Google France aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 200,12 € TTC dont 33,14 € de TVA ;
La présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 489 du CPC.
Le Tribunal : Laurent Levesque (président), Antoine Verly (greffier)
Avocats : Me Olivier Iteanu, Me Maxime Ramos-Guerrero, Me Delphine Michot, Me Aude Dupuis
Source : Legalis.net
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