Jurisprudence : Marques
Cour d’appel de Versailles 14ème chambre Arrêt du 5 septembre 2001
SNC Laboratoires Garnier & Cie C/ Jacques G.
nom de domaine - reproduction marque - risque de confusion - transfert du nom de domaine
Faits et procédure
La société Laboratoires Garnier & Cie a notamment pour activité la fabrication et la vente de parfums, produits de beauté et produits annexes.
Elle a déposé le 29 décembre 1944 la marque figurative « Garnier » sous le numéro 355.811/365.972 et l’a régulièrement renouvelée le 30 décembre 1958, le 5 décembre 1973, le 18 novembre 1983 et enfin le 20 septembre 1993.
La marque « Garnier » est déposée pour les produits et services des classes 1, 2, 3 et 5.
La société Laboratoires Garnier a découvert qu’il avait été déposé auprès de l’opérateur des domaines internet
C’est dans ces conditions que la société Laboratoires Garnier a assigné ce dernier devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Par jugement rendu le 8 janvier 2001, cette juridiction a débouté la société Laboratoires Garnier & Cie de toutes ses demandes.
Autorisée à relever appel à jour fixe, la société Laboratoires Garnier expose que le nom de domaine litigieux a été enregistré auprès d’un bureau d’enregistrement, la société américaine NSI, selon une procédure purement déclarative, sans aucun contrôle d’aucune sorte.
Elle soutient que le nom déclaré par le titulaire du nom du domaine en litige doit être considéré comme un pseudonyme à défaut d’avoir établi le caractère patronymique de celui-ci.
Elle fait valoir que le titulaire du nom du domaine en litige s’est rendu coupable de contrefaçon et que ces agissements constituent des actes de parasitisme vis-à-vis de la société Laboratoires Garnier.
Cette dernière demande à la cour de :
Vu l’article 917 du nouveau code de procédure civile,
Vu les articles L. 712-1, L. 713-1, L. 713-2 et suivants, L. 713-5, L. 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article 1382 du code civil,
– constater le caractère déclaratif de la procédure d’enregistrement d’un nom de domaine auprès de la société NSI,
– dire et juger que l’identité déclarée par le déposant est assimilée à un pseudonyme, qu’il ne peut être assimilé en l’absence de justifications à un nom patronymique et qu’en tout état son utilisation est faite de mauvaise foi,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– constater que Jacques G. s’est rendu coupable d’actes de contrefaçon de la marque « Garnier »,
– constater que les agissements de Jacques G. portent atteinte à l’image de la société Laboratoires Garnier,
en conséquence,
– ordonner au défendeur la cessation des actes de contrefaçon de la marque « Garnier »,
– faire interdiction à Jacques G. directement ou indirectement de reproduire et d’utiliser de quelque manière et à quelque titre que ce soit, tous signes pouvant constituer une contrefaçon de la marque « Garnier » ou créer un risque de confusion, et ce sous astreinte de 50 000 F (ou sa contre-valeur en euros) par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,
– faire injonction à Jacques G. de procéder à ses frais, aux formalités de transfert du nom de domaine « garnier.com » au profit de la société Laboratoires Garnier ou de toute personne qu’elle désignera sous astreinte de 50 000 F (ou sa contre-valeur en euros) par jour de retard à compter du jour du prononcé de la décision à intervenir,
– dire que l’Internic (NSI) devra procéder aux formalités de transfert du nom de domaine « garnier.com » au profit de la société Laboratoires Garnier,
– condamner Jacques G. à réparer les préjudices subis par la société Laboratoires Garnier, de son fait, évalués à 800 000 F (ou sa contre-valeur en euros) en ce qui concerne la contrefaçon, 800 000 F (ou sa contre-valeur en euros) en ce qui concerne l’atteinte portée à l’image de la société Laboratoires Garnier et à son nom commercial,
– ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de Jacques G., dans la limite de 60 000 F HT (ou sa contre-valeur en euros ) par publication, dans cinq revues au choix de la société Laboratoires Garnier,
– ordonner la publication du jugement à intervenir en français et en anglais, sur la page d’accueil de tous les sites de Jacques G., et ce pendant six mois, et ce dans un délai de huit jours à compter de la signification, sous astreinte de 50 000 F (ou sa contre-valeur en euros) par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, aux frais de Jacques G.,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– condamner Jacques G. à payer à la société Laboratoires Garnier la somme de 30 000 F (ou sa contre-valeur en euros) au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Assigné à parquet, Jacques G. n’a pas constitué avoué.
Motifs de l’arrêt
Considérant qu’il est établi, par la production d’un constat d’huissier en date du 21 juin 2000, que le domaine « garnier.com » est déposé par Jacques G. PO BOX 28, San Pedro Town Ambergis Caye BZ, le contact administratif, technique et de facturation étant « Administrator, DNIS (DA1227) belize@visto.com », l’adresse postale étant identique ;
Considérant que ce domaine a été enregistré par la société de droit américain, NSI, sans qu’il soit procédé à un quelconque contrôle d’identité préalable ;
Considérant que Jacques G. a été destinataire de deux lettres recommandées qui lui ont été adressées par l’huissier de justice chargé de délivrer les assignations ;
Que les accusés de réception ont, à deux reprises, été signés du nom d’Elliott ;
Considérant que rien ne permet de démontrer que le nom déclaré par le titulaire du nom du domaine, qui utilise pour la réception de son courrier une boîte postale, corresponde effectivement à son véritable patronyme ;
Qu’en l’absence de contrôle, toute personne peut utiliser un pseudonyme pour procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine auprès de la société NSI dont la seule exigence est le règlement d’une taxe ;
Considérant, en tout état de cause, que le site accessible par le nom de domaine litigieux n’est pas actif ainsi que cela résulte du constat de l’huissier de justice mandaté par la société Laboratoires Garnier, preuve de la mauvaise foi de l’intimé quant à l’enregistrement du domaine « garnier.com » ;
Considérant que la société Laboratoires Garnier est titulaire des droits sur la marque « Garnier », marque notoire ;
Considérant qu’est constitutif d’un acte de contrefaçon toute reproduction, utilisation et exploitation de la dénomination « Garnier » sans l’accord de la société appelante ;
Qu’en l’espèce, cette contrefaçon résulte du seul fait de l’enregistrement d’un nom de domaine la reproduisant ;
Considérant que cette contrefaçon subsiste en l’absence de toute exploitation commerciale comme en l’espèce, le site n’étant pas actif ;
Que le simple dépôt de la marque notoire protégée constitué un acte d’appropriation du signe ;
Considérant enfin que la société Laboratoires Garnier est fondée à se prévaloir de l’antériorité de sa marque (1944), à l’enregistrement du domaine « garnier.com » ;
Considérant que Jacques G., en procédant à l’enregistrement du domaine litigieux auprès de la société NSI, s’est rendu coupable d’actes de contrefaçon de la marque « Garnier » dont la société Laboratoires Garnier est fondée à solliciter la cessation ;
Qu’il convient, infirmant la décision entreprise, de faire interdiction à Jacques G., directement ou indirectement, de reproduire et d’utiliser de quelque manière que ce soit, tous signes pouvant constituer une contrefaçon de la marque « Garnier » ou créer une confusion, ce sous astreinte de 50 000 F par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt, ainsi qu’aux demandes subséquentes de cette société, notamment de publication du présent arrêt ;
Considérant que le préjudice subi par la société Laboratoires Garnier du fait de l’utilisation de la dénomination « Garnier » est suffisamment réparé par les mesures d’interdiction, publication et autres, ordonnées par la cour dans le dispositif ci-après ;
Considérant, en revanche, qu’il existe en la cause une réelle atteinte à l’image de la société Laboratoires Garnier, les internautes pensant accéder au site de la société, arrivant sur une page d’erreur ;
Qu’elle subit un préjudice certain distinct de celui qui découle de la contrefaçon, dès lors qu’elle est privée de la possibilité de déposer le site « garnier.com », dont elle a besoin pour assurer sa communication internationale et la diffusion de ses produits à l’étranger ;
Qu’il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages-intérêts en ce qui concerne la contrefaçon, de faire droit à sa demande de dommages-intérêts, pour atteinte à son image, et de lui allouer la somme de 800 000 F de ce chef ;
* Sur l’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile
Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Laboratoires Garnier les sommes exposées par elle qui ne sont pas comprises dans les dépens ;
Qu’il y a lieu de lui allouer la somme de 15 000 F en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut en en dernier ressort :
. infirme le jugement rendu le 8 janvier 2001 par le tribunal de grande instance de Nanterre,
. ordonne la cessation des actes de contrefaçon de la marque « Garnier »,
. fait interdiction à Jacques G., directement ou indirectement, de reproduire et d’utiliser, de quelque manière et à quelque titre que ce soit, tous signes pouvant constituer une contrefaçon de la marque « Garnier » ou créer un risque de confusion, et ce sous astreinte de 50 000 F (soit 7 622,45 €) par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt,
. donne injonction à Jacques G. de procéder à ses frais aux formalités de transfert de domaine « garnier.com » au profit de la société Laboratoires Garnier & Cie ou de toute personne qu’elle désignera, sous astreinte de 50 000 F (soit 7 622,45 €) par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt,
. dit que l’Internic devra procéder aux formalités de transfert du nom de domaine
. condamne Jacques G. à payer à la société Laboratoires Garnier & Cie la somme de 800 000 F (soit 121 959,21 €) en réparation de son préjudice résultant de l’atteinte portée à son image et son nom commercial,
. ordonne la publication du présent arrêt aux frais de Jacques G. dans la limite de 30 000 F (soit 4 573,47 €) par publication, dans trois revues du choix de la société Laboratoires Garnier & Cie,
. ordonne la publication du présent arrêt, en français et en anglais, sur la page d’accueil de tous les sites de Jacques G., et cependant six mois, et ce passé le délai de huit jours à compter de la signification, sous astreinte de 50 000 F (7 622,45 €) par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt, aux frais de Jacques G.,
. déboute la société Laboratoires Garnier & Cie de sa demande de dommages-intérêts complémentaire,
. condamne Jacques G. à payer à la société Laboratoires Garnier la somme de 15 000 F (2 286,74 €), en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
. le condamne en outre aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés par la SCP Bommart-Minault titulaire d’un office d’avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
La cour : M. Michel Falcone (président), Mmes Chantal Lombard et Catherine Metadieu (conseillers).
Avocats : Me Olivier Itéanu.
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.