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Jurisprudence : Marques

mardi 30 octobre 2007
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 10 octobre 2007

Lancôme, L'Oréal / Webtrade, Ludovic G.

concurrence déloyale - contrefaçon - e-commerce - marques

FAITS ET PRETENTIONS

La société Lancôme parfums et beauté et compagnie (ci-après société Lancôme) est titulaire :
– de la marque française dénominative « Miracle » n°99 809 054 déposée le 24 août 1999 et désignant les « produits de parfumerie, produits cosmétiques et de maquillage » ;
– de la marque communautaire « Miracle » n°99 128 68 97 déposée le 28 août 1999 et désignant les mêmes produits que précédemment ;
– de la marque verbale communautaire « Hypnose » n°00 4 173 621 déposée le 23 décembre 2004 désignant les produits de parfumerie.

La société L’Oréal est titulaire de :
– la marque française « Amor Amor » n°02 3 197 314 désignant les « parfums et eau de toilette » ;
– la marque communautaire Amor Amor n°00 3 115 607 déposée le 3 avril 2003 et désignant les « parfums, eaux de toilette » ;

Ces marques sont exploitées pour désigner des parfums de grande notoriété.

La société Lancôme et la société L’Oréal ont appris que sous le pseudonyme « webtrade2007 » étaient commercialisés sur le site internet ebay.fr qui appartient à la société eBay France, des produits de parfumerie intitulés « simili Amor Amor » et décrit comme « odeur similaire Amor Amor Cacharel ».

Le vendeur inscrit sous le pseudonyme précité apparaît sur « ebay » comme une « power seller » inscrit comme vendeur professionnel et membre de la communauté « ebay » depuis le 12 janvier 2005.

Suite à une réquisition judiciaire, la société eBay France a indiqué que la personne qui utilisait le pseudonyme précité était Ludovic G. qui opérait par l’intermédiaire d’une société commerciale dénommée « Sarl Web Trade ».

Une opération de saisie contrefaçon intervenait dans les locaux de cette société qui démontrait que la société Webtrade avait commercialisé environ 40 produits dénommés « For Ever simili Amor Amor » et « Sexy simili Miracle » pour un chiffre d’affaires total de 1133,27 € pour la période du 19 février au 1er mai 2007.

Suivant une procédure à jour fixe, les sociétés Lancôme et L’Oréal ont assigné la société Webtrade et Ludovic G. aux fins de voir le tribunal :
– dire qu’en commercialisant des parfums sous les dénominations Amor Amor, Miracle et Hypnose, la société Webtrade et Ludovic G. se sont rendus coupables d’actes de contrefaçon des marques précitées ainsi que d’actes de concurrence déloyale ;
– interdire la poursuite de ces actes illicites sous astreinte dont le tribunal se réservera la liquidation ;
– condamner solidairement les défendeurs à leur payer à chacune :
• une somme de 15 000 € par marque contrefaite à titre provisionnel,
• une somme de 15 000 € en réparation du préjudice subi du fait de l’absence des mentions exigées par les articles L 121-18 du code de la consommation et 19 de la loi n°04-575 sur les offres en vente de parfums contrefaisants ;
• une somme de 15 000 € en application de l’article 700 du ncpc ;

le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire de la décision à intervenir et de l’autorisation de sa publication dans des journaux ou revues ainsi que sur la page d’accueil du site www.ebay.fr.

Cette assignation constitue les seules écritures des demanderesses.

Dans ses dernières écritures du 29 juin 2007, Ludovic G. et la société Webtrade exposent qu’ils reconnaissent leur responsabilité mais que Ludovic G. a agi de bonne foi car « il ne pensait pas qu’il était interdit de vendre des produits en les proposant comme se rapprochant des originaux ».

Toutefois, les défendeurs plaident que Ludovic G. n’a pas de responsabilité personnelle ayant toujours agi au nom de la société Webtrade dont il est associé avec M. B. qui est d’ailleurs le véritable animateur de la société ; que pour apprécier l’étendue du préjudice subi, il y a lieu de relever le faible chiffre d’affaires généré par la vente des produits contrefaits, l’existence de deux clientèles distinctes, la disproportion entre les chiffres d’affaires des demanderesses et celui de la société Webtrade et enfin de la situation de chômage de Ludovic G.

Aussi concluent-ils à la mise hors de cause de Ludovic G. et au débouté des demandes faute de préjudice démontré.

Oralement, les demanderesses ont maintenu leurs prétentions.

DISCUSSION

Sur la contrefaçon

L’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits sauf autorisation du propriétaire : a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode, » ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ».

L’article 9 du règlement CE du 20 décembre 1993 prévoit que le titulaire (d’une marque communautaire) est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.

Il ressort des pièces produites aux débats (notamment de la page écran du 11 avril 2007, du constat d’huissier du 23 mars 2007 et du profil d’évaluation de « webtrade2007 ») :

• que sous le pseudonyme Webtrade2007 étaient offerts à la vente et vendus des coffrets de parfum sous la dénomination « Deo Forever simili Amor Amor », sous la dénomination « Sexy odeur similaire Miracle de Lancôme » et sous la dénomination « Nysa simili Hypnose » ;
• que le vendeur étant présenté comme un professionnel ;
• que l’utilisateur « webtrade2007 » inscrit sur eBay depuis le 29 janvier 2007 était Ludovic G. ;
• que la masse contrefaisante pour la période du 19 février au 1er mai 2007 avait généré un chiffre d’affaires de 1133,27 €.

Dès lors que les produits sont identiques à ceux visés dans l’enregistrement des marques en cause et qu’ils sont désignés par des signes identiques à ceux déposés, le grief de contrefaçon est constitué au regard des dispositions légales précitées.

Sur les actes de concurrence déloyale

Les actes de commercialisation litigieux s’étant effectués sous un pseudonyme, contrevenant ainsi à l’article 19 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique qui impose de mentionner l’identité du fournisseur de biens sur internet et les flacons en cause ne portant pas les mentions permettant d’identifier le fabricant et cela en contravention des dispositions de l’article L 121-1 du code de la consommation, le tribunal considère qu’il s’agit d’actes de concurrence déloyale vis-à-vis des demanderesses qui ont pour activité la fabrication et la commercialisation de parfums.

Sur les responsabilités

La société Webtrade ne conteste pas être la société qui a commercialisé les produits contrefaisants. A ce titre, elle est donc responsable des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale précités.

Ludovic G. soutient qu’il n’a aucune responsabilité personnelle, n’ayant agi qu’en qualité de représentant de la société Webtrade. Le tribunal relève que le pseudonyme « webtrade2007 » a été réservé par lui en son nom propre dès lors que figure sur la page « ebay utilisateur » son nom et son adresse personnelle alors qu’aucune mention d’une société en constitution n’y est portée.

Dans ces conditions, le tribunal considère que Ludovic G. est responsable également à titre personnel des actes illicites précités, les offres en vente s’effectuant sous son pseudonyme.

Sur les mesures réparatrices

Eu égard à la renommée importante des marques en cause, du caractère limité de la masse contrefaisante et de la courte durée de la contrefaçon (moins d’un semestre), le tribunal considère que le préjudice subi par les sociétés demanderesses sera justement indemnisé par l’allocation :
– à la société Lancôme d’une somme de 12 000 € au titre de la contrefaçon de marque et d’une somme de 3000 € au titre de la concurrence déloyale ;
– à la société L’Oréal d’une somme de 8000 € au titre de la contrefaçon de marque et d’une somme de 2000 € au titre des actes de concurrence déloyale.

A titre de dommages-intérêts complémentaires, l’affichage du dispositif de la présente décision sur la page d’accueil d’eBay pendant une durée d’un mois est autorisé. En revanche, la publication de celui-ci dans des journaux ou revues n’apparaît pas nécessaire eu égard à la nature de l’offre commerciale contrefaisante.

L’équité commande enfin d’allouer à chaque demanderesse une indemnité de 4000 € en application de l’article 700 du ncpc.

Eu égard à la nature de l’affaire, l’exécution provisoire de la présente décision est autorisée.

DECISION

Par ces motifs le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, sous le bénéfice de l’exécution provisoire,

. Dit qu’en offrant en vente et en vendant des parfums sous les dénominations « Forever simili Amor Amor », « Sexy odeur similaire Miracle de Lancôme » et « Nysa simili Hypnose » sous le pseudonyme Webtrade et sans mention du fabricant sur les produits proposés à la vente, la société Webtrade et Ludovic G. ont commis des actes de contrefaçon des marques françaises n°04 3 328 779 et n° 99 809 054 et de la marque communautaire n° 00 128 68 97 au préjudice de la société Lancôme et de la marque française n°02 3 197 314 et de la marque communautaire n°00 3 115 607 au préjudice de la société L’Oréal et des actes de concurrence déloyale au préjudice de ces deux sociétés ;

. Interdit la poursuite de ces actes illicites sous astreinte de 100 € par jour de retard et par infraction constatée postérieurement à la signification du présent jugement ;

. Dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes ainsi ordonnées en application de la disposition de l’article 35 de la loi du 9 juillet 1991 ;

. Condamne in solidum la société Webtrade et Ludovic G. à payer :
– à titre de dommages-intérêts, à la société Lancôme une somme de 15 000 € et à la société L’Oréal une somme de 10 000 € ;
– en application de l’article 700 du ncpc, à chaque demanderesse une indemnité de 4000 € ;

. Autorise la publication du présent dispositif sur la page d’accueil du site d’eBay pendant une durée d’un mois aux frais de la société Webtrade et de Ludovic G., tenus in solidum ;

. Déboute les parties de leurs autres demandes ;

. Condamne in solidum la société Webtrade et Ludovic G. aux entiers dépens, ce dernier dans le cadre des dispositions de la loi sur l’aide juridictionnelle ;

. Fait application des dispositions de l’article 699 du ncpc.

Le tribunal : Mme Elisabeth Belfort (vice président), Mmes Agnès Thaunat et Michèle Picard (vice présidentes)

Avocats : Me Stéphane Guerlain, Me André Bernard

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.