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Jurisprudence : Marques

mercredi 30 avril 2003
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 1ère section Jugement du 30 avril 2003

Chantelle / Manufacturas Femininas Ltda, Elimer

contrefaçon - marques - nom de domaine

Les faits et procédure

Par acte du 18-09-2001, la société Chantelle a fait assigner la société de droit colombien Manufacturas Femininas Ltda et la société de droit vénézuélien Elimer.

La société Chantelle expose qu’elle a pour activité la fabrication et la commercialisation en France et dans le monde entier d’articles de lingerie féminine, corseterie et sous-vêtements féminins ; qu’elle dépend du groupe Chantelle, premier fabricant français de lingerie féminine ; qu’elle est titulaire de la marque verbale « Chantelle » n° 1 492 361 déposée le 26-11-1963 et régulièrement renouvelée désignant les produits de la classe 25 à savoir « tous vêtements et sous vêtements, corsets, gaines, ceintures, tricots élastiques, tissus élastiques et en général tous articles de bonneterie en tricot, tulle, tissu élastique ou non, articles de lingerie, tulles élastiques » ; qu’elle dispose également d’un site internet www.chantelle.fr sur lequel ses collections sont présentées.

La société Chantelle poursuit en indiquant avoir constaté la présence sur le réseau internet d’un site accessible à l’adresse IP www.anneshantel.com à partir duquel sont présentés des articles de lingerie sous la marque « Anne Shantel » de même que sous le signe suivant :

que le nom de domaine www.anneshantel.com a fait l’objet d’une réservation auprès de l’organisme Tucows par la société de droit vénézuélien Elimer liée par une communauté d’intérêts à la société de droit colombien Manufacturas Femininas Ltda.

La société Chantelle indique avoir fait opposition à une demande d’enregistrement de la marque communautaire « Anne Shantel » n° 000823823 et précise que cette demande a été rejetée pour un motif de pure forme ; qu’opposition a également été faite auprès d’offices allemand, espagnol et danois, seule ce dernier y ayant fait droit.

Au terme de ses écritures, la société Chantelle demande au tribunal de statuer comme suit :

– dire qu’en utilisant la marque « Anne Shantel » pour désigner des articles de lingerie et en déposant la marque communautaire « Anne Shantel » n° 000823823 la société Manufacturas Femininas Ltda a commis des actes de contrefaçon de la marque « Chantelle » n° 1 492 361 dont la société Chantelle est propriétaire,

– dire qu’en réservant le nom de domaine www.anneshantel.com et en exploitant un site internet accessible à partir de cette adresse pour présenter et commercialiser des articles de lingerie, les sociétés Manufacturas Femininas Ltda et Elimer ont commis des actes de contrefaçon de la marque « Chantelle » n° 1 492 361 dont la société Chantelle est propriétaire,

– interdire aux défenderesses toute utilisation des signes « Shantel » ou « Anne Shantel » ou de tout autre signe pouvant prêter à confusion sous astreinte de 2000 € par infraction constatée,

– ordonner aux défenderesses de cesser toute utilisation du nom de domaine www.anneshantel.com ou de tout autre nom de domaine pouvant prêter à confusion sous astreinte de 2000 € par infraction constatée,

– ordonner à la société Manufacturas Femininas Ltda de procéder à la radiation de sa marque communautaire « Anne Shantel » n° 000823823 déposée le 13-05-1998 sous astreinte de 2000 € par jour de retard,

– ordonner à la société Manufacturas Femininas Ltda de procéder à la radiation de son nom de domaine www.anneshantel.com ou de tout autre nom de domaine pouvant prêter à confusion avec la marque « Chantelle », sous astreinte de 2000 € par jour de retard,

– condamner in solidum la société Manufacturas Femininas Ltda et la société Elimer à lui verser la somme de 152 449 € en réparation du préjudice subi du fait des contrefaçons,

– ordonner la publication dans trois journaux aux frais des défenderesses pour un coût ne devant pas dépasser 7622 € par publication,

– se réserver le pouvoir de liquider les astreintes,

– prononcer l’exécution provisoire,

– condamner chacune des défenderesses à lui verser la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,

– rejeter toutes demandes adverses.

La société Chantelle se prétend recevable à agir en indiquant qu’elle ne sollicite pas la nullité de la marque communautaire mais agit en contrefaçon pour dépôt et usage en France de la marque communautaire. Elle invoque le risque de confusion entre les deux marques en opposition en précisant que le graphisme de la marque seconde n’est pas déterminant puisque le signe distinctif est appelé à être prononcé autant qu’à être lu. Est également stigmatisée la contrefaçon par l’usage de la marque « Anne Shantel » sur internet en rappelant que la juridiction française est compétente pour en connaître dès lors que le site est accessible sur le territoire national.

Les sociétés Manufacturas Femininas Ltda et Elimer ont conclu au rejet des réclamations présentées à leur encontre et demandent au tribunal de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à se pourvoir devant les juridictions du Venezuela pour connaître des agissements prétendus de contrefaçon sur le site internet www.anneshantel.com

A titre reconventionnel, est sollicitée la condamnation de la société Chantelle à verser à chacune des sociétés défenderesses la somme de 15 250 € à titre de dommages-intérêts et celle de 6000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Les sociétés défenderesses soulèvent les moyens suivants :

– la contestation relative à la marque communautaire semi figurative « Anne Shantel » n° 000823823 ayant fait l’objet d’un enregistrement régulièrement publié relève de la compétence de l’Ohmi seul compétent pour connaître des demandes de déchéance ou nullité,

– il n’existe pas de risque de confusion entre les deux marques,

– la marque litigieuse et la dénomination « Anne Shantel » sur internet ne sont ni exploitées sur le territoire français ni destinées au public français, le seul critère géographique de réception ne devant pas constituer un lien suffisant de compétence territoriale,

– l’usage de la dénomination « Anne Shantel » à titre de nom de domaine n’est pas constitutif de contrefaçon pour défaut d’imitation et l’interdiction d’usage éventuelle ne pourrait porter que sur les produits visés au dépôt de la marque Chantelle,

– le préjudice invoqué par la demanderesse n’est pas caractérisé.

La discussion

Sur les demandes relatives à la marques communautaire

Attendu que la société Manufacturas Femininas Ltda est titulaire de la marque communautaire semi figurative « Anne Shantel » n° 000823 823 déposée le 13-05-1998 désignant en classe 25 les vêtements, chaussures, chapellerie ; que, par décision, du 28-4-2000, l’Ohmi a rejeté l’opposition au dépôt de cette marque formée par la société Chantelle ; que les motifs du rejet, en l’espèce l’absence de traduction de documents, n’ont pas d’incidence sur sa portée ; que cette marque a été enregistrée le 17-09-2001 avec publication le 29-10-2001 ;

Attendu qu’il résulte des dispositions des articles 51 et suivants du règlement CE du 20-12-1993 que la demande de nullité de la marque communautaire présentée à titre principal doit être présentée devant l’Ohmi ; que le tribunal est donc incompétent pour statuer sur la demande de radiation de la marque communautaire qui constitue la conséquence de l’action en nullité, même si cette dernière n’est pas expressément formulée ;

Que, par contre, conformément aux dispositions de l’article 92 du règlement, la compétence des tribunaux des marques communautaires est reconnue en matière d’action en contrefaçon ; que le tribunal est donc compétent pour ce prononcer sur cette partie de la demande de la société Chantelle ; que la décision du 28-04-2000, par laquelle l’Ohmi a rejeté l’opposition formée par la société Chantelle, ne saurait priver cette dernière de la possibilité d’agir en contrefaçon sur le terrain national ;

Attendu que, sur le fondement de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle, il convient de rechercher si la marque communautaire « Anne Shantel » n° 000823823 constitue une imitation avec risque de confusion de la marque verbale « Chantelle » n°1 492 361 déposée le 26-11-1963 et régulièrement renouvelée désignant les produits des classes 24 et 25 ; qu’ainsi que relevé par la société demanderesse, sur le plan phonétique, il n’existe aucune différence entre Chantelle et Shantel qui constitue la partie dénominative distinctive de la marque « Anne Shantel » ; que cette similitude de prononciation est d’autant plus importante que les deux marques comportent une partie dénominative ayant vocation à être prononcée autant qu’à être lue ; que le graphisme de la partie figurative de la marque « Anne Shantel » et notamment la présence d’un cygne n’est pas suffisante pour supprimer la portée de cette imitation qui s’apprécie au regard des ressemblances et non des différences ; que cette imitation est susceptible d’entraîner un risque de confusion puisque la marque première couvre les produits des classes 24 et 25 à savoir « tous vêtements et sous vêtements, corsets, gaines, ceintures, tricots élastiques, tissus élastiques et en général tous articles de bonneterie en tricot, tulle, tissu élastique ou non, article de lingerie, tulles élastiques » et que la marque communautaire protège pour partie les mêmes produits de la classe 25 (vêtements, chaussures, chapellerie) ; que les conditions de l’article 713-3 du code de la propriété intellectuelle se trouvent ainsi réunies puisque le consommateur concerné par ce type de produits risque d’acheter des produits « Anne Shantel » en pensant acquérir des articles Chantelle ;

Attendu que l’article 106 du règlement CE du 20-12-1993 autorise l’application du droit national « aux fins d’interdiction de l’usage des marques communautaires » ; que la portée de cette interdiction est limitée au territoire national ; qu’en raison de la contrefaçon ci-dessus caractérisée, la société Chantelle est fondée à se prévaloir de cette exception au caractère unitaire de la marque communautaire tel que défini par l’article 1, second alinéa du règlement ; qu’il convient de faire droit à cette demande selon des modalités précisées dans le dispositif.

Sur les demandes relatives au nom de domaine et à l’usage de la marque « Anne Shantel » sur internet

Attendu que la société Chantelle verse aux débats un constat dressé le 26-06-2001 par Me S., huissier de justice à Paris ; que ce dernier expose s’être connecté à l’adresse http://www.anneshantel.com ; que sur la page d’accueil, est présenté le logo de la marque « Anne Shantel Paris » avec le dessin d’un cygne ; que l’huissier a procédé à l’impression des pages sur lesquelles figurent des modèles féminins portant de la lingerie ; que si le texte est rédigé en langue espagnole, il n’en demeure pas moins qu’il est accessible sur le territoire français et utilisable par toutes les personnes parlant la langue espagnole ; que les défenderesses ne peuvent pas utilement soutenir que le site ne serait pas destiné au consommateur français ; que l’huissier a également constaté que la société Elimer était titulaire du nom de domaine « anneshantel » ; que les faits de contrefaçon allégués ayant été commis sur le territoire français, lieu de réception du site, la juridiction française est compétente pour en connaître par application des dispositions de l’article 46 du ncpc ;

Attendu que pour les motifs ci dessus exposés et au vu du constat dressé par Me S., les faits de contrefaçon de la marque ont également été commis par l’utilisation du nom de domaine et par l’exploitation du site internet des défenderesses ; qu’il convient de faire droit à la demande d’interdiction selon des modalités précisées dans le dispositif ; que par contre, il n’y a pas lieu d’ordonner la radiation du nom de domaine www.anneshantel.com puisqu’une telle décision priverait les défenderesses de la possibilité d’exploiter leur site en dehors du territoire national ;

Sur les autres demandes

Attendu que le préjudice de la société Chantelle doit tenir compte des seules atteintes portées à sa marque sur le territoire national en relation directe avec les faits de contrefaçon ci dessus caractérisés ; qu’elle invoque une notoriété sans justifier remplir les conditions de l’article 6 bis de la convention de Paris ; que sur le fondement de la dévalorisation de sa marque et de la dépréciation de sa valeur attractive, il convient de lui allouer une somme forfaitaire de 15 000 € ;

Attendu que les mesures de publication justifiées seront ordonnées selon des modalités précisées dans le dispositif ;

Attendu que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes précitées ;

Attendu que le prononcé de l’exécution provisoire apparaît nécessaire sauf en ce qui concerne la mesure de publication ;

Attendu que la solution du litige et l’équité conduisent à condamner in solidum les sociétés défenderesses à verser à la société Chantelle la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

Attendu que les sociétés défenderesses, eu égard à la décision rendue, doivent être déboutées de leur demande de dommages-intérêts ;

Attendu que les sociétés défenderesses, parties succombantes, doivent les dépens et doivent être déboutées de leur demande formée au titre de l’article 700 du ncpc

La décision

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

. Se déclare incompétent concernant la demande tendant à ordonner à la société Manufacturas Femininas Ltda de procéder à la radiation de sa marque communautaire « Anne Shantel » n° 000823823 déposée le 13-05-1998 ;

. Se déclare compétent sur les autres demandes ;

. Dit qu’en utilisant la marque « Anne Shantel » pour désigner des articles de lingerie et en déposant la marque communautaire « Anne Shantel » n° 000823823 la société Manufacturas Femininas Ltda a commis des actes de contrefaçon de la marque Chantelle n° 1 492 361 dont la société Chantelle est propriétaire ;

. Dit qu’en réservant le nom de domaine www.anneshantel.com et en exploitant un site internet accessible à partir de cette adresse pour présenter et commercialiser des articles de lingerie, les sociétés Manufacturas Femininas Ltda et Elimer ont commis des actes de contrefaçons de la marque Chantelle n° 1 492 361 dont la société Chantelle est propriétaire ;

. Interdit aux sociétés Manufacturas Femininas Ltda et Elimer d’utiliser la marque « Anne Shantel » pour désigner des articles de lingerie sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter du 60ème jour suivant la date de signification du présent jugement ;

. Interdit aux sociétés Manufacturas Femininas Ltda et Elimer d’utiliser la nom de domaine www.anneshantel.com pour présenter ou commercialiser des articles de lingerie sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter du 60ème jour suivant la date de signification du présent jugement ;

. Condamne in solidum la société Manufacturas Femininas Ltda et la société Elimer à verser à la société Chantelle la somme de 15 000 € en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ;

. Ordonne la publication du dispositif du présent jugement dans trois journaux au choix de la société Chantelle et aux frais des sociétés Manufacturas Femininas Ltda et Elimer pour un coût ne devant pas dépasser 1500 € par publication ;

. Se réserve le pouvoir de liquider les astreintes ;

. Prononce l’exécution provisoire sauf en ce qui concerne la mesure de publication ;

. Condamne in solidum la société Manufacturas Femininas Ltda et la société Elimer à verser à la société Chantelle la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

. Rejette toutes autres demandes ;

. Condamne in solidum la société Manufacturas Femininas Ltda et société Elimer aux dépens.

Le tribunal : Mme Apelle (vice président), Mme Marion et M. Loos (vice présidents)

Avocats : Me Guillaume Marchais, Me Stéphane Guerlain

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.