Jurisprudence : Responsabilité
Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre, chambre de la Presse Jugement du 7 juin 2005
France Télécom, ministère public / Laurent B.
mineur - pornographie - responsabilité - video
PROCEDURE
Par exploit d’huissier en date du 9 juillet 2004, le ministère public a fait citer Laurent B. devant ce tribunal, à l’audience du 7 octobre suivant, sous la prévention d’avoir :
« à Paris et sur le territoire national, courant 2003, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant gérant de la société Frog Planète à Paris, fabriqué, transporté, diffusé, fait commerce d’un message à caractère violent ou pornographique, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, en l’espèce en permettant le téléchargement de vidéos pornographiques par le moyen du service audiotel « allopass », le dit message étant susceptible d’être vu ou perçu par un mineur faute de tout système de protection efficace »,
faits prévus et réprimés par les articles 227-24, 227-29 et 227-31 du code pénal.
A l’audience du 7 octobre 2004, le prévenu était non comparant mais représenté par Me Iteanu, Me Michau a déclaré vouloir se constituer partie civile pour la société France Télécom, et l’affaire a été renvoyée, pour plaider, à celle du 19 avril 2005.
A cette audience, Laurent B. était présent et assisté de Me Iteanu, Me Michau représentait la société France Télécom et Mme Jacqueline C., citée en qualité de témoin, était absente et excusée par un courrier de la société France Télécom, dont elle est l’une des salariées, faisant état d’un arrêt maladie la concernant.
Le président a donné lecture de l’acte qui a saisi le tribunal et rappelé les faits et la procédure.
Le tribunal a interrogé Laurent B.
Le conseil de la société France Télécom a été entendu et a sollicité que sa constitution de partie civile soit déclarée recevable ainsi que la condamnation de Laurent B. à lui payer la somme de 100 000 € de dommages-intérêts, soit 1 euro par client de son service audiotel, en réparation du préjudice financier lié aux frais d’enquête ainsi qu’à l’atteinte à son image de marque.
Le ministère public a été entendu en ses réquisitions.
Le conseil du prévenu a eu la parole en dernier, a plaidé la relaxe en raison de l’absence d’éléments tant matériel qu’intentionnel du délit et a sollicité, subsidiairement, du tribunal qu’il ajourne le prononcé de la peine et dise que la condamnation ne sera pas mentionnée au casier judiciaire de Laurent B.
A l’issue des débats, le tribunal a informé les parties, conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2 du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé le 7 juin 2005.
MOTIFS
Sur les faits
Par courrier date du 10 septembre 2003, le Comité de télématique anonyme était alerté par « M. et Mme F. », de ce qu’à la suite d’une facture téléphonique anormalement élevée, ils avaient découvert que leurs enfants mineurs avaient pu accéder, à partir de leur connexion internet et grâce à un système audiotel de la société « Allopass », à des vidéos de caractère pornographique.
A la suite d’une transmission de cette plainte par le Comité de télématique anonyme, le ministère public a confié à la brigade de lutte contre le proxénétisme une enquête préliminaire sur ces faits, par soit transmis en date du 13 octobre 2003.
Il résulte des investigations subséquentes que c’est la société Frog Planète, dont Laurent B. est le gérant, qui exploite le système appelé « Allopass », nom commercial qui sert également d’enseigne à cette société.
Il ressort des éléments de l’enquête ainsi que des déclarations non contestées du prévenu qu' »Allopass » est un système de micro paiement permettant à une personne qui se connecte à certains sites internet, clients de la société, d’effectuer un paiement, par le biais d’une ligne audiotel surtaxée, aux fins d’obtenir le téléchargement de vidéos.
Laurent B. devait préciser que sa société reversait 30% des montants obtenus à la société France Télécom, avec laquelle il était en relation contractuelle à cet effet, et que les 70% restant étaient destinés à la rémunération de la société Frog Planète et des sites internet qui offraient des téléchargements par ce biais. Il était observé que tous ces clients ne commercialisaient pas des images à caractère pornographique et que leur nombre élevé (plus de 50 000 comptes) empêchait qu’il n’en soit dressé une liste exhaustive.
Les policiers devaient constater que l’accès initial à ces sites, qui s’opère indépendamment de l’utilisation du système « Allopass », n’était protégé que par la diffusion d’un message en interdisant expressément la consultation aux mineurs mais que ceux-ci pouvaient passer outre ces messages d’alertes et en prendre connaissance.
Laurent B. devait indiquer que les contrats liant sa société aux éditeurs de sites internet précisaient les limites concernant la diffusion de messages illicites et que, sur l’équipe de vingt personnes salariées de la société Frog Planète, cinq d’entre elles veillaient au contrôle permanent de la régularité des sites, qui pouvaient recourir à ses services en s’inscrivant en ligne.
En ce qui concerne la protection des mineurs, il invoquait les messages d’alerte des sites clients ainsi que la mise à disposition, par un lien direct, d’un service dénommé Icra, permettant d’interdire aux mineurs l’accès à ce type de sites.
Enfin, lors de l’avis à victime, délivré à M. F., plaignant, il devait apparaître que le sieur F. demeurant à l’adresse mentionnée n’est pas marié, n’a pas d’enfant et qu’il a déclaré à l’huissier instrumentaire qu’il n’était pas l’auteur de la lettre envoyée au Comité de télématique anonyme.
Sur l’infraction
L’article 227-24 alinéa 1 du code pénal dispose que « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur » ;
Le délit de l’article 227-24 du code pénal vise donc, d’une part, le fait de fabriquer, transporter, diffuser, par tout moyen et sur tout support, un message à caractère violent ou pornographique ou gravement attentatoire à la dignité humaine, et, d’autre part, celui d’en faire commerce.
Le prévenu, qui a versé aux débats une « note d’étude technique » rédigée à sa demande par M. Bruce Bonnaure, expert près la cour d’appel de Paris, invoque l’absence de l’élément matériel de l’infraction qui lui est reprochée en soulignant que les sites eux-mêmes sont protégés par les éditeurs, que la société Frog Planète, qui met à disposition des internautes un système de paiement, ne fabrique pas, ne transporte pas ni ne diffuse un quelconque contenu, que les sites en question en sont ni créés, ni hébergés ni retransmis par elle.
Il fait également valoir qu’il n’est pas établi que les sites soient accessibles aux mineurs compte tenu des messages d’alerte des éditeurs relevés par l’enquêteur et que, quoiqu’il en soit, le contrat « Allopass » prévoit, dans l’article 5 des conditions générales, que « le client s’engage à prendre toute mesure nécessaire pour empêcher l’accès des mineurs à tout élément à caractère érotique ou pornographique diffusé sur les pages facturées par le système Allopass » et que, dans l’hypothèse ou cette obligation n’est pas respectée, la société Frog Planète empêche les visiteurs d’y accéder, de sorte qu’il ne peut être considéré qu’elle en fait commerce.
Il invoque enfin la circonstance que le paiement effectué par l’internaute auprès de la société Frog Planète par le biais de l’audiotel n’est pas lié à un service précis, que l’éditeur bénéficiaire n’est pas connu d’elle au moment de l’utilisation de ses services par le visiteur de sites.
Le prévenu conteste également l’élément intentionnel de l’infraction qui lui est reprochée en raison des conditions contractuelles, déjà évoquées, imposées aux éditeurs de sites clients, du logiciel de contrôle parental que sa société promeut et du contrôle direct de la légalité des sites eux-mêmes ainsi que du respect des stipulations contractuelles par ses salariés qui sont affectés à cette tâche.
Sur les éléments matériels de l’infraction
Il n’est pas contesté, en l’espèce, que la société dont Laurent B. est le gérant, n’a ni fabriqué, ni transporté ni diffusé de messages à caractère pornographique mais qu’il lui est reproché d’en avoir fait commerce.
Il ressort des constatations policières que les messages d’alertes que les éditeurs des sites litigieux font apparaître lors de la connexion, s’ils ont le mérite d’exister, n’empêchent pas un mineur déterminé de passer outre et de se livrer à une consultation de « galeries » d’images extraites de vidéos pornographiques, même si cette première accessibilité ne peut être imputée au prévenu, le logiciel de paiement n’étant pas encore intervenu à ce stade.
Il n’est pas apporté la preuve de ce qu’un autre système mis en place serait ensuite de nature à exclure efficacement l’utilisation par un mineur d' »Allopass », lui permettant ainsi d’accéder aux entières vidéos commercialisées, puisqu’un mineur -non moins déterminés – est parfaitement à même de faire usage d’un numéro de téléphone audiotel, étant observé que la constatation d’un accès effectif d’un mineur en particulier n’est pas nécessaire à la constitution de l’infraction.
Laurent B., en particulier, n’apporte aucune pièce propre à établir que ses salariés seraient sérieusement en mesure de suspendre l’utilisation de son système de paiement dès lors que les précautions, suffisamment efficaces, contractuellement prévues avec les éditeurs de sites internet, ne seraient pas respectées, cette affirmation étant démentie, en fait, par les constatations policières.
La circonstance que le paiement effectué grâce à « Allopass » ne correspondrait pas à l’accès à un site internet précis au moment où il est opéré n’est pas non plus exclusive de la réunion des éléments matériels constitutifs de l’infraction dès lors qu’il suffit que l’un au moins des éditeurs qui proposent d’accéder à un contenu à caractère pornographique figure parmi la liste des clients de la société Frog Planète – qui peut donc être rémunérée par le dit versement – ce qui n’est pas sérieusement contestable.
Il est ainsi établi que le système « Allopass » permet aux mineurs de voir des messages à caractère pornographique auxquels ils n’auraient pas accès, à défaut de son utilisation.
Sur l’élément moral de l’infraction
Il doit être observé que la répression instaurée par l’article 227-24 du code pénal, qui vise à protéger les mineurs, doit être appliquée restrictivement, et ce en particulier, afin de ne pas porter atteinte au principe de la liberté de communication subsistant entre majeurs ; qu’une interprétation extensive de ces dispositions légales, fort imprécises, par certains aspects, quant à la définition de l’infraction, serait contraire non seulement aux principes fondamentaux du droit pénal et à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais également à l’intention du législateur qui a voulu assurer la protection des mineurs tout en laissant une totale liberté aux majeurs, le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, ayant supprimé les articles 283 et suivants qui visaient les majeurs comme les mineurs, pour ne s’attacher qu’à la protection de ces derniers.
Aux termes de l’article 121-3 alinéa 1 du code pénal, il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
En l’espèce, il doit être rappelé que la société Frog Planète n’est en rien à l’origine des contenus des sites qui font appel à ses services, dont les éditeurs – qui peuvent recourir aux services de cette société par une simple inscription en ligne – ont la responsabilité.
La qualité de simple prestataire technique de la société dont le prévenu est le gérant ne permet pas de considérer que Laurent B. avait l’intention de permettre un accès des mineurs à des messages pornographiques dès lors qu’en sa qualité de simple fournisseur d’un mode de paiement, il est, d’une part, tenu d’une certaine neutralité à l’égard des contenus des sites édités par ses clients, aucune obligation de surveillance générale ne pesant sur lui et que, d’autre part, il justifie avoir pris des précautions en imposant contractuellement aux dits éditeurs de sites de « prendre toute mesure nécessaire pour empêcher l’accès de mineurs à tout élément à caractère érotique ou pornographique diffusé sur les pages facturées par le système Allopass ».
Il doit d’ailleurs être observé, au surplus, qu’en l’espèce, l’enquête n’a pas permis de mettre en évidence l’accès effectif d’un mineur à un site de caractère pornographique.
Il n’est ainsi pas établi que le prévenu avait conscience de faire commerce de messages pornographiques susceptibles d’être vus ou perçus par des mineurs ; qu’à défaut d’élément intentionnel démontré, le délit n’est pas constitué et que Laurent B. doit donc être renvoyé des fins de la poursuite.
Sur l’action civile
Seule les personnes susceptibles de subir un préjudice directement issu de la commission de l’infraction poursuivie sont recevables à se constituer parties civiles.
Tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque l’on ne voit pas en quoi la société France Télécom pourrait être directement atteinte par la perpétration du délit visant à la protection des mineurs.
En conséquence, sa constitution de partie civile doit être déclarée irrecevable.
DECISION
Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Laurent B., prévenu, par jugement contradictoire à l’égard de la société France Télécom (art. 424 du code de procédure pénale) et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
. Renvoie Laurent B. des fins de la poursuite ;
. Déclare irrecevable la constitution de partie civile de la société France Télécom.
Le tribunal : M. Nicolas Bonnal (vice président), M. Bourla (premier juge), M. Bailly (juge), Mme Vautherin (substitut)
Avocats : Me Olivier Iteanu, Me Emmanuel Michau
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