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Jurisprudence : Marques

mercredi 25 juin 2003
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Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème chambre, 1ère section, Jugement du 25 juin 2003

Ets Charles Chevignon / Riverland Nouvelle, AB Initio

contrefaçon - marques - risque de confusion

Les faits et procédure

Dans ses dernières écritures, la société Charles Chevignon demande au tribunal de :

– se déclarer compétent pour juger ses demandes à l’encontre de la société AB Initio,

– dire qu’elle est propriétaire de la marque « Don’t Look Back » n° 98/730618 pour désigner les produits suivants « vêtements, chaussures, chapellerie »,

– dire que l’usage par la société Riverland Nouvelle et la société AB Initio de la mention « Never Look Back » constitue la contrefaçon de la marque n°98/730618 dont la société Charles Chevignon est propriétaire,

– interdire à Me Dominique R. es qualité de liquidateur de la société Riverland Nouvelle et à la société AB Initio l’usage, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, de la mention « Never Look Back » et ce sous astreinte définitive de 1000 € par infraction constatée et 1500 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

– l’autoriser à faire procéder à la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues de son choix et fixer la participation de la société AB Initio aux frais de publication à la somme de 30 000 €,

– dire que son préjudice s’établit à la somme de 500 000 €, quitte à parfaire, en réparation du préjudice subi,

– ordonner la publication du jugement à intervenir sur le site internet www.old.river.com aux frais in solidum de la société AB Initio et de Me Dominique R. es qualités, pendant une durée de six mois, et ce à compter du délai d’un mois suivant la signification du jugement à intervenir, sous astreinte définitive de 1000 € par jour de retard,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, l’atteinte portée aux droits privatifs ne pouvant se perpétuer sans lui causer un préjudice irréparable,

– fixer l’indemnité qui lui est due au titre de l’article 700 du ncpc à la somme de 10 000 €,

– condamner in solidum Me Dominique R., es qualité, et la société AB Initio en tous les dépens, lesquels comprendront les frais de saisie-contrefaçon diligentée le 19 juillet 2001.

Au soutien de ses demandes, la société Charles Chevignon fait valoir :

– qu’elle est propriétaire de la marque « Don’t Look Back » déposée le 30 avril 1998, par la société Naf Naf, marque qui lui a été cédée le 15 septembre 1998,

– qu’elle a consacré des investissements considérables sur cette marque qui a acquis une notoriété incontestable,

– que la société Riverland Nouvelle a commercialisé des vêtements en faisant usage de l’accroche « Never Look Back » qu’elle a utilisé notamment sur son site internet, dans ses campagnes promotionnelles et publicitaires et dans ses magasins,

– que les agissements de la société Riverland Nouvelle sont notamment établis par un procès-verbal de constat en date du 19 juillet 2001, dressé par Me D., qui a pu constater la présence, sur les pages du site www.old.river.com de la mention « Never Look Back »,

– que les agissements de la société Riverland Nouvelle sont également établis par le procès-verbal de contrefaçon dressé le 19 juillet 2001 par Me Brigitte P., dans les locaux du magasin à l’enseigne « Old River », au Forum des Halles,

l’huissier ayant constaté la présence, dans la vitrine et à l’intérieur du magasin, d’affiches comportant la mention « Never Look Back » et la présence de brochures PLV à la disposition de la clientèle comportant également la mention « Never Look Back »,

– que ce tribunal est compétent, nonobstant les déclarations de l’appelée en garantie qui se prévaut des conditions générales régissant les relations contractuelles qui la lient à la société Riverland Nouvelle, qui prévoient qu’en cas de litige, seuls sont compétents les tribunaux de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, les dispositions de l’article 333 du ncpc mentionnant que le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu’il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, même en invoquant une clause attributive de compétence,

– que, contrairement aux allégations de la société AB Initio, qui se prévaut des articles 3 et 4 de la convention de Rome pour affirmer que le tribunal devra faire application de la loi belge, la convention ne s’applique pas en la présente espèce, les articles 3 et 4 de la convention de Rome déterminant la loi applicable aux obligations contractuelles, ce qui n’est pas le cas, aucun lien contractuel n’existant entre la société Charles Chevignon et la société AB Initio, que les actes de contrefaçon ayant été commis en France, la loi française est seule applicable,

– que la mention « Never Look Back » constitue incontestablement la contrefaçon de la marque « Don’t Look Back », compte tenu des similitudes intellectuelles, visuelles et phonétiques entre les deux signes, le risque de confusion étant incontestable, que, quant aux consommateurs qui ne comprendraient pas le sens de ces expressions, ils ne manqueront pas de saisir la similitude entre les deux signes, du fait de la reprise à l’identique des termes « Look » et « Back », les signes devant être étudiés tels qu’ils ont été déposés, qu’enfin, la marque « Don’t Look Back » est très distinctive au regard des produits qu’elle désigne et que les défenderesses ont fait usage d’un signe similaire pour désigner des produits et services quasi identiques,

– que c’est la société AB Initio qui a proposé la mention contrefaisante à la société Riverland Nouvelle, selon l’assignation de cette dernière,

– qu’en faisant usage d’un signe contrefaisant, les défenderesses ont porté gravement atteinte au pouvoir distinctif de la marque et entraîné une vulgarisation de cette dernière.

Me Dominique R., es qualité, a demandé au tribunal de :

– dire que la société Riverland Nouvelle n’est pas responsable de l’utilisation de l’accroche « Never Look Back »,

– dire et juger que la société AB Initio doit sa garantie de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

– subsidiairement, dire que la demande de la société demanderesse ne peut prétendre qu’à une fixation au passif de son éventuelle créance,

– condamner la société AB Initio à lui payer la somme de 2286,74 € au titre de l’article 700 du ncpc,

– condamner la société AB Initio aux dépens,

– rejeter toutes demandes à son encontre,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Il fait valoir :

– que la société Riverland Nouvelle n’a jamais eu connaissance des conditions générales dont se prévaut la société AB Initio ; que ces conditions générales lui sont donc inopposables,

– que seule la loi française est applicable en l’espèce, les actes de contrefaçon étant intervenus en France,

– que c’est la société AB Initio qui est à l’origine de l’utilisation par la société Riverland Nouvelle de la signature litigieuse,

– que, sur le fond, la mention « Never Look Back » était une signature rédactionnelle saisonnière apparaissant seulement sur des affiches et non une marque mentionnée sur des vêtements à la vente ; que la société Riverland Nouvelle a immédiatement cessé d’utiliser cette signature suite à la saisie contrefaçon, que le montant exigé est dès lors fortement exagéré.

Dans ses dernières conclusions, la société AB Initio a demandé au tribunal de :

– in limine litis, se déclarer incompétent,

Subsidiairement, sur le fond,

– dire que le contrat signé par AB Initio est soumis à la loi belge, en conséquence, faire application de la loi belge, dire que l’exécution du contrat se limite au territoire de la Belgique,

– en conséquence, dire que la société AB Initio n’est pas responsable des actes contrefaisants reprochés,

– débouter Me Dominique R., es qualités, de son appel en garantie,

– débouter la société Charles Chevignon de sa demande en réparation de son préjudice,

– très subsidiairement, dire que la signature « Never Look Back » n’est pas l’imitation de « Don’t Look Back » et ne saurait entraîner de risque de confusion, de sorte que la contrefaçon n’est pas constituée, dire que la société Charles Chevignon n’a subi aucun préjudice, dire que la mise en cause et le maintien de la société AB Initio constituent un détournement du droit des marques de la part de la société Charles Chevignon, dire que l’appel et le maintien de la société AB Initio en cause est une tentative de la société Riverland Nouvelle de se défausser de sa responsabilité,

En conséquence,

– débouter la société Charles Chevignon de sa demande de condamnation de la société AB Initio à la somme de 500 000 € en réparation de son préjudice, débouter la société Charles Chevignon de l’intégralité de ses demandes, dire et juger que l’appel en garantie est irrecevable et mal fondé, fixer au passif de la société Riverland Nouvelle la somme de 5200 € et condamner la société Charles Chevignon à lui payer la somme de 5200 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Il est établi que Kim S. assigné à parquet a eu connaissance de l’acte introductif d’instance ainsi que l’exige l’article 479 du ncpc ; il n’a pas constitué avocat.

La discussion

Attendu que la société AB Initio soulève l’incompétence de ce tribunal et ce aux motifs que, société de droit belge appelée en garantie dans la présente espèce, elle ne peut être attraite devant les juridictions françaises ;

Attendu que, si effectivement il résulte des conditions générales de la société AB Initio qu’en cas de litiges, seuls sont compétents les tribunaux de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, il convient d’observer que la société Charles Chevignon, demanderesse en la présente espèce, et sans lien de droit contractuel avec cette dernière, a, dans ses dernières conclusions qui lient seules le tribunal, formé des demandes à l’encontre de la société AB Initio ;

Que dès lors, les actes reprochés s’étant déroulés sur le territoire français, la compétence de ce tribunal doit être retenue ;

Qu’il convient de débouter la société AB Initio de sa demande tendant à voir ce tribunal se déclarer incompétent ;

Attendu que la société AB Initio demande au tribunal d’appliquer la loi belge et ce aux motifs que l’article 3 de la convention de Rome du 19 juin 1980, relative aux obligations contractuelles, dispose que le contrat est régi par la loi des parties ;

Attendu toutefois, comme il a été exposé ci dessus, qu’il n’existe aucune relation contractuelle entre la société AB Initio et la société Charles Chevignon ;

Que la convention de Rome ne peut dont s’appliquer ;

Attendu que les actes argués de contrefaçon ayant été commis sur le territoire français, seule la loi française est applicable ;

Attendu que la société AB Initio doit être déboutée de ce chef de demande ;

Attendu que la société Charles Chevignon est propriétaire de la marque « Don’t Look Back » ; que la société Riverland Nouvelle a commercialisé des vêtements en faisant usage de l’accroche « Never Look Back » qu’elle utilisait notamment sur son site internet, dans des campagnes publicitaires et promotionnelles et dans ses magasins ;

Attendu que deux termes sur trois de la marque sont incontestablement reproduits à l’identique et ce même si back est écrit à l’envers dans l’accroche ; que les similitudes visuelles et phonétiques ont incontestables ; que la marque de la société Charles Chevignon signifiant « ne regarde pas en arrière » et l’accroche signifiant « ne regarde jamais en arrière », il existe incontestablement pour un consommateur moyen des ressemblances intellectuelles et ce même pour un consommateur qui n’a aucune notion de base de la langue anglaise ;

Que dès lors, les produits étant par ailleurs similaires, il existe un risque de confusion certain, la marque devant être étudiée telle qu’elle a été déposée et non telle qu’elle est exploitée ;

Attendu que la mention « Never Look Back » constitue donc la contrefaçon de la marque « Don’t Look Back » ;

Qu’il convient donc d’ordonner, à l’encontre de Me Dominique R., es qualités, les mesures d’interdiction et de publication telles que précisées dans le dispositif du présent jugement ;

Attendu que sur le préjudice, il convient de constater que la société Charles Chevignon ne sollicite pas la fixation de sa créance ;

Attendu que, sur la responsabilité sollicitée de la société AB Initio, il convient d’observer qu’aucune stipulation contractuelle n’obligeait la société AB Initio à faire des recherches d’antériorité, d’autant qu’il lui était demandé par la société Riverland Nouvelle de proposer des signatures et non une marque ; que, par ailleurs, il résulte de documents produits au débat que diverses signatures rédactionnelles ont été proposées à la société Riverland Nouvelle ; que trois de ces signatures sont été recommandées par la société AB Initio, recommandations parmi lesquelles ne figurait pas l’accroche litigieuse ;

Attendu enfin qu’il est incontestable que, sur le plan délictuel, la société Charles Chevignon ne justifie d’aucun usage caractérisé de la marque imputable à la société AB Initio, la société demanderesse se contentant de déclarer que la société Riverland Nouvelle a fait usage de la marque ;

Attendu qu’au vu de l’ensemble de ces éléments, tant Me Dominique R., es qualités, que la société Charles Chevignon doivent être déboutés de leur demande à l’encontre de la société AB Initio ;

Attendu qu’il convient de débouter les parties de leurs autres demandes comme non justifiées ;

Attendu qu’eu égard à la nature de l’affaire, il convient d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision ;

Attendu que Me Dominique R., es qualités, partie succombante, doit être condamné aux dépens.

La décision

Statuant par jugement public, contradictoire, en premier ressort,

. Déboute la société AB Initio de sa demande tendant à voir ce tribunal se déclarer incompétent,

. Déboute la société AB Initio de sa demande tendant à voir appliquer la loi belge,

. Dit que l’usage par la société Riverland Nouvelle de la mention « Never Look Back » constitue la contrefaçon de la marque « Don’t Look Back » de la société Charles Chevignon,

. Interdit à Me Dominique R. es qualités de liquidateur de la société Riverland Nouvelle de faire usage, sous quelque forme que ce soit et de quelque manière que ce soit, de la mention « Never Look Back » et ce sous astreinte de 150 € par infraction constatée, astreinte commençant à courir à compter du troisième mois suivant la signification du présent jugement,

. Autorise la société Charles Chevignon à faire procéder à la publication du dispositif du présent jugement dans trois journaux ou revues de son choix,

. Constate que la société Charles Chevignon ne sollicite aucune fixation de sa créance au passif de la société Riverland Nouvelle,

. Déboute la société Charles Chevignon et Me Dominique R. es qualités de leurs demandes à l’encontre de la société AB Initio,

. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision,

. Déboute les parties de leurs autres demandes,

. Condamne Me Dominique R. es qualités, aux dépens.

Le tribunal : Mme Marie Claude Apelle (vice président), M. Loos et Mme Marion (vice présidents)

Avocats : Me Christian Hollier Larousse, Me Jacques Monta, SCP Bollet et associés, Me Anne Judith Levy

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