Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 1ère section 28 mai 2003
Charles Aznavour/Futur TV, France 2, Franz Olivier G.
télévision - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
Par actes des 13 et 18 avril 2001, Charles Aznavour a fait assigner la société Futur TV, France 2 et Franz Olivier G.
Charles Aznavour expose qu’au début de l’année 2000 l’agence 96B, qui assure sa promotion, à la demande de la société de production Emi Music France a fait savoir à son représentant que le 25 novembre 1999 Franz Olivier G. avait émis le souhait d’organiser une interview le concernant dans le cadre d’une série d’émissions ayant pour thème « Les histoires d’amour les plus symboliques de notre siècle » ;
que par courrier du 02 février 2000 la société 96B écrivait au manager de Charles Aznavour que Futur TV produisait et réalisait une série thématique diffusée en « prime time » en juillet et août 2000 sur France 2 ;
que cette série aurait pour thème « Les histoires d’amour les plus symboliques de notre siècle » ; que Franz Olivier G. souhaitait consacrer une émission entière à Charles Aznavour ;
que la durée de l’interview serait de une heure ; que la teneur de ce courrier a été confirmée tant par les représentants de l’agence 96B que par M. S., représentant de l’artiste, qui ont eu un contact direct avec Franz Olivier G. notamment lors d’un déjeuner le 25 novembre 1999 ;
que les accords verbaux ont été les suivants :
– interview audiovisuelle destinée à une émission d’une durée de une heure entièrement consacrée à Charles Aznavour,
– soumission de l’interview à l’artiste,
– diffusion des chansons des 15 dernières années sans utilisation des archives Ina.
Charles Aznavour poursuit en indiquant qu’a ainsi été filmée dans les locaux de la société Futur TV le 13 mars 2000 une interview de 1h15 minutes destinée à ladite émission ; qu’en réalité Futur TV et son coproducteur France 2 se sont servis de l’interview pour alimenter par extraits une série de cinq émissions faisant appel à plusieurs autres artistes, comédiens ou personnalités consacrées au thème général de l’amour avec extraits de vidéo – clips et images d’archives ;
qu’en effet Futur TV en qualité de producteur délégué négociait parallèlement avec France 2 un contrat de coproduction ayant pour objet une série intitulée « Parlez-moi d’amour » comportant cinq émissions ;
que malgré l’opposition de l’artiste les cinq émissions ont été diffusées en juillet et en août 2000.
Au terme de ses écritures Charles Aznavour demande au tribunal de statuer comme suit :
– débouter les défendeurs de leurs demandes,
– condamner in solidum Franz Olivier G. ainsi que les sociétés Futur TV et France 2 à lui verser 65 000 € à titre de dommages-intérêts pour utilisation par extraits de l’interview qu’il a accordé le 13 mars 2000 à Franz Olivier G. dans les cinq émissions composant la série « Parlez-moi d’amour » en réparation de la violation de son droit à l’image et au respect de l’intimité de sa vie privée,
– faire interdiction à Franz Olivier G. ainsi qu’aux sociétés Futur TV et France 2 d’utiliser l’interview du 13 mars 2000 de quelque façon et à quelque titre que ce soit, sans son autorisation préalable, sous astreinte de 30 000 € par infraction constatée,
– condamner in solidum les sociétés Futur TV et France 2 à lui verser 30 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis du fait de l’intégration dans l’émission « Parlez-moi d’amour » d’un extrait de la chanson « Plus bleu que tes yeux » dont il est l’auteur, le compositeur et l’interprète,
– condamner in solidum Franz Olivier G. ainsi que les sociétés Futur TV et France 2 à lui verser 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
Sur le fondement des articles L 112-2, L 121-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, Charles Aznavour invoque les droits d’auteur qu’il détient sur les réponses aux questions de Franz Olivier G. lors de l’interview du 13 mars 2000 et reproche aux défendeurs de les avoir reproduites et représentées malgré l’interdiction formelle qu’il a manifestée notamment dans un courrier recommandé du 23 juin 2000. Sur le fondement de l’article 9 du code civil Charles Aznavour invoque l’atteinte à son droit à l’image et au respect de sa vie privée.
La société Futur TV et Franz Olivier G. ont conclu en demandant au tribunal de déclarer Charles Aznavour irrecevable faute de qualité à agir sur le fondement des articles du code de la propriété intellectuelle. Pour le surplus il est conclu au rejet des demande de Charles Aznavour. Est sollicitée sa condamnation aux paiements suivants :
– à Franz Olivier G., un euro à titre de dommages-intérêts et 9000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,
– à la société Futur TV, 9000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
Les conditions invoquées par Charles Aznavour relatives aux restrictions d’usage de son interview sont contestées et il est soutenu que selon le droit positif en se prêtant à un tel exercice et sauf clauses contraires « l’artiste confère au réalisateur le droit d’utiliser librement et dans le style qui lui est propre les éléments sonores et visuels recueillis et d’opérer parmi eux un choix ». Il est soutenu que l’artiste ayant accepté l’enregistrement d’une interview destinée à la télédiffusion ne peut invoquer une atteinte à son droit à l’image. Est demandée la mise hors de cause de Franz Olivier G. totalement étranger aux conditions de diffusion de l’interview.
Concernant l’atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin il est indiqué que Charles Aznavour agit seul sans justifier être l’unique auteur de la chanson intitulée « Plus bleu que tes yeux » ; que le contrat général de représentation conclu le 11 juillet 1983 entre France 2 et la Sacem/Sdrm rend licite la reproduction et la représentation des droits d’auteur dont Charles Aznavour pourrait être titulaire.
La France 2 a conclu au rejet des demandes de Charles Aznavour et subsidiairement demande à être garantie de toutes condamnations éventuelles par la société Futur TV. Elle sollicite la condamnation de Charles Aznavour à lui verser 7622,45 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
France 2 soulève les moyens suivants :
– les restrictions invoquées à la destination de l’interview ne sont pas justifiées,
– Charles Aznavour est dépourvu de droit d’auteur sur l’interview,
– l’émission « Parlez-moi d’amour » ne constitue pas une œuvre composite dans laquelle aurait été intégrée l’œuvre musicale préexistante « Plus bleu que tes yeux »,
– faute de dénaturation, le demandeur ne peut pas prétendre à une atteinte à son droit moral pour diffusion même par extraits de la chanson « Plus bleu que tes yeux »,
– en vertu de l’article 7 de la convention de coproduction signée le 23 mars 2000 entre les sociétés France 2 et Futur TV, cette dernière est tenue à garantie.
Par ordonnance du 11 juillet 2000 le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a débouté Charles Aznavour de sa demande d’interdiction de diffusion.
DISCUSSION
Sur les demandes principales
Attendu que, le 13 mars 2000 Charles Aznavour a consenti à Franz Olivier G., intervenant pour le compte de la société Futur TV, une interview sur le thème de l’amour ; que cette rencontre a été précédée d’un déjeuner le 25 novembre 1999 ayant réuni Franz Olivier G. et M. S., représentant personnel de Charles Aznavour ; que les parties sont en désaccord sur le contenu du projet tel qu’il a été présenté ce jour là ;
qu’il résulte néanmoins d’un fax adressé le 2 février 2000 par l’agence 96B en charge des intérêts de Charles Aznavour au sein de la société de production Emi à M. S. que l’interview devait être utilisée pour une série « Les histoires d’amour les plus symboliques de notre siècle » devant être diffusée en juillet et août 2000 sur France 2 ;
que si le représentant de l’agence 96B mentionne qu’une émission entière serait consacrée à Charles Aznavour, la preuve n’est pas rapportée de la souscription d’un tel engagement par Franz Olivier G., Futur TV, ou par France 2 ; qu’en l’absence de tout engagement écrit avant ou après l’interview, Charles Aznavour ne peut pas utilement soutenir que les défendeurs se sont obligés à produire et diffuser une émission dont il aurait été l’unique sujet ;
que les attestations établies en 2002 par les représentants de l’agence 96B et par M. S. ne sauraient y suppléer ; que le contrat de production conclu le 23 mars 2000 entre la société Futur TV et France 2 porte sur une série de cinq émissions intitulées « Parlez-moi d’amour » ;
qu’aucun des sous titres de chaque émission ne se rapporte à Charles Aznavour ; que si ce dernier a été victime d’un malentendu il ne prouve pas qu’il soit imputable aux défendeurs et en toute hypothèse n’est pas constitutif de droits ;
Attendu que dans ces conditions Charles Aznavour s’est prêté à l’interview du 13 mars 2000 dans la perspective d’une série d’émissions télévisuelles consacrées à l’amour devant être diffusée par France 2 au cours de l’été 2000 ; que se faisant ainsi que relevé par les défendeurs et en l’absence de clause contraire il est présumé avoir conclu un contrat qui confère au réalisateur le droit d’utiliser librement et dans le style qui lui est propre les éléments sonores et visuels recueillis et d’opérer parmi eux un choix ;
que dans la présente espèce Charles Aznavour ne peut pas revendiquer sa qualité d’auteur au sens de l’article L 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle puisqu’il s’est contenté de répondre aux questions posées sans participation au projet ; que Franz Olivier G. a encadré et dirigé l’entretien par le biais des questions-réponses, ces dernières ayant été recueillies telles quelles sans correction ni relecture ;
Attendu que l’autorisation ainsi donnée ne prive pas Charles Aznavour de la possibilité d’agir s’il estime que le traitement opéré a dénaturé ses propos ou a porté atteinte à ses droits de la personnalité ;
Attendu qu’indépendamment de l’absence d’engagement souscrit à ce titre il n’apparaît pas que soit constitutif d’une faute délictuelle le fait d’avoir fait appel à d’autres artistes ou personnalités pour illustrer avec Charles Aznavour le thème de l’amour ;
que l’opposition à diffusion adressée le 30 juin 2000 par M. S. à la société Futur TV apparaît tardive, puisque la diffusion de la première émission était prévue pour le 4 juillet 2000, et non justifiée ; qu’à compter de l’interview du 13 mars 2000 ni Charles Aznavour ni ses représentants ne se sont préoccupés du contenu d’une émission dont ils prétendent qu’elle devait lui être entièrement consacrée ;
que la demande d’interdiction a été présentée devant le juge des référés par assignation du 7 juillet 2000 donc postérieurement à la diffusion de la première émission ;
Attendu dans ces conditions que Charles Aznavour doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour diffusion d’extraits de son interview ; que le grief de violation de son droit à l’image est également inopérant puisque Charles Aznavour était informé de la nature audiovisuelle du projet ;
Attendu que dans une des émissions litigieuses a été diffusé un extrait d’un film d’archives représentant Charles Aznavour en vacances dans un bateau en compagnie de son épouse ; que la société Futur TV justifie en avoir acquis les droits de reproduction le 20 juin 2000 auprès de la société Pathe Archives ;
que si Charles Aznavour peut invoquer le respect du à sa vie privée par application des dispositions de l’article 9 du code civil, il convient de relever que ces images d’archives déjà diffusées ont été intégrées pour illustrer les propos du chanteur sur le thème de l’amour ; qu’en raison de ce caractère documentaire, une telle diffusion n’apparaît pas attentatoire à l’intimité du demandeur ;
Attendu qu’en accompagnement d’une partie de l’émission consacrée à Charles Aznavour a été diffusée un extrait de la chanson « Plus bleu que tes yeux » dont il est l’auteur, le compositeur et l’interprète ; que Charles Aznavour verse aux débats un courrier de la Sacem du 12 juin 2002 qui confirme sa qualité d’unique auteur compositeur ; que le moyen d’irrecevabilité tiré de l’absence d’intervention des autres co auteurs doit donc être écarté ;
Attendu que le protocole d’accord conclu le 11 juillet 1983 entre Antenne 2 devenue France 2 et la Sacem/Sdrm couvrant le droit de représentation pour toutes les émissions diffusées et le droit de reproduction pour la réalisation des enregistrements nécessaires à ces émissions ; que toutefois le premier alinéas de l’article 6 de ce protocole réserve le droit moral de l’auteur ;
que dans la présente espèce cette œuvre a été diffusée en illustration des propos et images se rapportant à l’auteur dans les conditions ci-dessus rappelées exclusives de dénaturation ou d’altération ; que la seule diffusion par extrait n’est pas constitutive d’atteinte au droit moral de l’auteur ;
Attendu que les demandes de Charles Aznavour en sa qualité d’artiste interprète se heurtent aux dispositions des articles L 214-1 et L 212-10 du code de la propriété intellectuelle qui autorisent la diffusion de la chanson ; que pour les motifs ci-dessus rappelés les conditions de diffusion de la chanson « Plus bleu que tes yeux » même par extraits n’ont pas porté atteinte au droit moral de l’interprète ;
Attendu que Charles Aznavour doit être débouté de ses demandes de dommages-intérêts.
Sur les autres demandes
Attendu que Charles Aznavour s’est prêté à l’interview du 13 mars 2000 dans la perspective d’une série d’émissions télévisuelles consacrées à l’amour devant être diffusée par France 2 au cours de l’été 2000 ; qu’en l’absence d’autorisation pour d’autres passages ou rediffusions Charles Aznavour peut solliciter l’interdiction d’utiliser de nouveau l’interview du 13 mars 2000 ; qu’il n’apparaît pas nécessaire d’assortir cette condamnation du prononcé d’une astreinte ;
Attendu que Franz Olivier G. est intervenu pour le compte de Futur TV et a réalisé l’interview dans des conditions qui ont permis de se prononcer sur l’absence de droit d’auteur de Charles Aznavour ; que sa présence étant justifiée il n’y a pas lieu de le mettre hors de cause ; que la procédure le concernant n’apparaît pas abusive nonobstant son caractère mal fondé ;
Attendu que la solution du litige rend sans objet la demande d’exécution provisoire sauf concernant la mesure d’interdiction.
Attendu qu’il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des défendeurs les sommes qu’ils ont du exposer pour assurer leur défense.
DECISION
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort,
. Dit Charles Aznavour recevable à agir en qualité d’auteur de la chanson « Plus bleu que tes yeux »,
. Dit que Charles Aznavour n’a pas la qualité d’auteur sur les réponses qu’il a données à Franz Olivier G. lors de l’interview du 13 mars 2000,
. Dit que Charles Aznavour s’est prêté à l’interview du 13 mars 2000 dans la perspective d’une série d’émissions télévisuelles consacrées à l’amour devant être diffusée par France 2 au cours de l’été 2000,
. Dit que les émissions « Parlez-moi d’amour » diffusées par France 2 au cours de l’été 2000 n’ont pas dénaturé les propos de Charles Aznavour ni porté atteinte à ses droits de la personnalité,
. Dit que la diffusion de la chanson « Plus bleu que tes yeux » n’a porté atteinte aux droits de Charles Aznavour ni en qualité d’auteur ni en qualité d’artiste interprète,
. Interdit à Franz Olivier G. ainsi qu’aux sociétés Futur TV et France 2 d’utiliser l’interview du 13 mars 2000 de quelque façon et à quelque titre que ce soit, sans l’autorisation préalable de Charles Aznavour.
. Rejette toutes autres demandes.
. Ordonne l’exécution provisoire en ce qui concerne la mesure d’interdiction,
. Condamne Charles Aznavour aux dépens.
Le tribunal : Mme Apelle (vice président), M. Edouard Loos et Mme Marguerite Marie Marion (vice présidents)
Avocats : SCP Schmidt Goldgrab, Me Bruno Ryterband, SCP Granrut – Me Jean Castelain
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.