Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 10 novembre 2008
NT1 / Wizzgo
concurrence déloyale - contrefaçon - copie illicite - copie privée - diffusion - droit d'auteur - marque - reproduction - site internet
FAITS ET PRETENTIONS
La société NT1 est une filiale du Groupe AB, groupe de sociétés spécialisées notamment dans la production, la diffusion et la commercialisation de programmes audiovisuels. Elle a notamment pour activité l’édition et la diffusion de la chaîne de télévision NT1 accessible par le réseau TNT.
NT1 a constaté que la société Wizzgo éditait un service accessible à l’adresse “http://www.wizzgo.com” permettant par l’intermédiaire d’un magnétoscope numérique d’enregistrer et de mettre à disposition du public les programmes des chaînes de la TNT et notamment de NT1.
La société NT1 considérant que la mise à disposition de copie de programmes est illicite, a mis en demeure le 29 juillet 2008 la société Wizzgo de cesser ce service.
Cette réclamation étant restée infructueuse, la société NT1 a assigné la société Wizzgo le 29 septembre 2008 pour voir le juge des référés interdire la poursuite de cette activité de copie illicite et ordonner la production de pièces.
Aux termes de ses dernières écritures déposées lors de l’audience, la société NT1 demande au juge des référés, au visa des articles 145, 809 et 700 du Code de Procédure Civile, des articles L 335-2, L 336-1, L 335-4 et L 216-1 du Code de la Propriété Intellectuelle et de l’article 2 alinéa 3 de la loi du 30 septembre 1986 de :
– dire que la mise à disposition de copies d’oeuvres non autorisées et/ou de programmes de la chaîne NT1 par la société Wizzgo est manifestement illicite et porte atteinte aux droits dont est titulaire NT1 sur les programmes et les oeuvres qu’elle diffuse ;
– dire que le logiciel iWizz proposé par Wizzgo et permettant l’enregistrement, la copie et/ou la mise à disposition du public de copies d’oeuvres non autorisées et/ou de programmes de la chaîne NT1 est manifestement illicite ;
– interdire à la société Wizzgo de copier, reproduire ou mettre à la disposition du public par quelque moyen que ce soit et notamment par le logiciel précité, les oeuvres et programmes diffusés sur la chaîne NT1 sous astreinte ;
– enjoindre à la société Wizzgo de lui communiquer sous astreinte :
* le nombre d’heures total de programmes copiés de NT1 depuis le jour de la mise en oeuvre du service au jour du prononcé de l’ordonnance ;
* la liste et le nombre d’heures détaillés par programme copié de NT1 depuis le jour de la mise en place du service au jour du prononcé de l’ordonnance ;
* le nombre d’internautes inscrits au service copie au jour du prononcé de l’ordonnance ;
* le montant des recettes publicitaires générées par le service de copie depuis le jour de la mise en place du service jusqu’au prononcé de l’ordonnance ;
– condamner la société Wizzgo à lui payer une provision de 30 000 € en réparation du préjudice subi ainsi qu’une indemnité de 10 000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
– se réserver la liquidation de l’astreinte.
La société Wizzgo expose que :
– elle a été créée en mai 2006 pour développer, exploiter et maintenir une plate-forme technologique de mise à disposition aux utilisateurs d’un service gratuit de magnétoscope numérique pour les programmes accessibles des chaînes gratuites de la TNT à partir du site internet www.wizzgo.com ;
– l’utilisateur de cette plate-forme après inscription sélectionne via un guide des programmes ceux d’entre eux qu’il souhaite enregistrer dans la limite de quinze heures mensuelles, puis la plate-forme réalise les enregistrements ; ce service permet ainsi à l’utilisateur de disposer d’un magnétoscope à distance programmable à l’avance ;
– pour bénéficier de ce service, l’utilisateur doit installer sur le disque dur de son ordinateur un logiciel dénommé iWizz destiné à interagir avec la plate-forme logistique Wizzgo ; une fois ce logiciel installé, cela permet à l’utilisateur de créer un compte utilisateur avec ses coordonnées ; après validation de cette inscription par l’envoi d’un email, l’utilisateur peut accéder au service et notamment aux grilles de programmes qu’il peut personnaliser à sa guise notamment pour être alerté sur les programmes correspondant à ses choix ;
– l’enregistrement est déclenché à la seule initiative de l’utilisateur au moyen d’un clic sur le programme choisi ; dès cet enregistrement réalisé, il est encrypté et est mis à disposition de l’utilisateur qui a déclenché l’enregistrement ; le fichier mis à sa disposition est exclusivement décryptable par le “player iwizz” du logiciel attaché à son compte personnel ;
– l’enregistrement mis à disposition est dès lors identique à celui d’un magnétoscope traditionnel et fait l’objet d’un marquage spécifique qui permet d’en assurer la traçabilité dans l’hypothèse d’une dissémination de la copie ;
– les conditions générales souscrites par l’utilisateur précisent bien qu’il s’agit d’une “copie privée réalisée par et pour vos soins, exclusivement destinée à votre usage personnel dans le cadre du cercle de famille”.
Aussi, la société Wizzgo plaide le débouté des demandes, estimant pouvoir bénéficier de l’exception de “copie privée”, sa prestation n’étant que technique et exécutée sur les instructions de l’utilisateur, seul bénéficiaire des copies de programmes réalisés à sa demande et pour son usage exclusif. En tout état de cause, elle conteste la démonstration d’un quelconque préjudice et sollicite l’allocation d’une indemnité de 10 000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
DISCUSSION
Il n’est pas contesté que la société NT1 bénéficie de la présomption de titularité des droits d’auteur, des droits des producteurs et des droits des artistes-interprètes sur les programmes audiovisuels qu’elle diffuse.
La société NT1 bénéficie également des dispositions de l’article L 216-1 du Code de la Propriété Intellectuelle : qui dispose que “sont soumises à l‘autorisation de l’entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d’un droit d’entrée “.
Sur la reproduction illicite
II est acquis aux débats que :
– la société Wizzgo reproduit des programmes des chaînes diffusées sur le réseau TNT et notamment de la chaîne NT1 et réalise une copie qu’elle met à disposition de l’utilisateur, abonné à son service qui a sélectionné préalablement les programmes ;
– la société Wizzgo met gratuitement à la disposition de l’utilisateur cette copie qui ne peut être lue que par lui, la copie étant encryptée ;
– la société Wizzgo est la responsable de la plate-forme technique mettant en oeuvre le logiciel Wizzgo et la responsable du service de “magnétoscope numérique” qu’elle propose aux utilisateurs et à ce titre est le co-contractant de l’utilisateur auquel elle fournit des copies.
Dès lors, la société Wizzgo est la copiste : c’est elle qui réalise la copie grâce son logiciel Wizzgo ; qui l’encrypte, qui la transmet à l’utilisateur et qui permet à celui-ci de la lire grâce au logiciel iWizz qu’elle lui a fourni. Dès lors, la société Wizzgo est responsable de toutes les opérations, l’utilisateur n’étant que le client de son service qui lui indique les contenus qu’il souhaite obtenir.
Contrairement à l’argumentation de la société Wizzgo, le présent juge considère que la copie qu’elle fournit, ne peut pas bénéficier de l’exception prévue aux articles L 122-5 6°) et L 211-3 5°) du Code de la Propriété Intellectuelle.
En effet, dans le service Wizzgo, la copie est l’élément essentiel du service rendu par la société Wizzgo. C’est cette copie qui a une valeur économique propre puisque c’est elle qui permet d’attirer la clientèle sur le site Wizzgo. Certes, la copie est fournie aujourd’hui gratuitement mais cette gratuité permet à la société Wizzgo de lancer son service pour bénéficier d’un certain nombre d’utilisateurs dont elle connaît les coordonnées qu’elle sollicite ce qui permettra dans un deuxième temps de développer une activité publicitaire ou d’informations sur les profils des téléspectateurs.
De la sorte, la société Wizzgo n’est pas un “intermédiateur technique” : elle est un prestataire de service qui se créée une clientèle en offrant gratuitement dans un premier temps des copies de programmes télévisuels à la demande pour pouvoir développer dans l’avenir d’autres prestations.
D’ailleurs, sur son site internet, toute sa communication évoque son magnétoscope numérique et la possibilité pour les internautes d’enregistrer gratuitement la TNT (cf. le slogan : “gratuit enregistrez toute la TNT »). C’est bien, cette ”copie” qui donne à la société Wizzgo sa valeur puisqu’elle a été créée pour cela ; son activité est selon ses propres écritures de “développer, exploiter et maintenir une plate-forme technologique mise à disposition des utilisateurs d’un service gratuit de magnétoscope numérique de programmes accessibles des chaînes gratuites de la “Télévision Numérique Terrestre” ».
Les copies en cause n’ont donc aucun caractère provisoire (la copie lue par l’internaute est celle réalisée par la société Wizzgo après une opération de décryptage réalisé avec un logiciel édité et fourni par Wizzgo) ou accessoire.
La société Wizzgo ne saurait non plus bénéficier de l’exception de copie privée des articles L 122-52° et L 211-3 1° dès lors que pour l’application de ces dispositions, il faut que le copiste et l’utilisateur de la copie soit une unique personne ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Dans ces conditions, le service de copies de programmes télévisuels TNT à la demande proposé par la société Wizzgo est illicite et constitue une trouble auquel il convient de mettre un terme.
Sur les logiciels iWizz et Wizzgo
Les dispositions de l’article L 336-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ayant été prises pour éviter les actes de contrefaçon accomplis par les internautes notamment à l’occasion d’échanges non autorisés de fichiers protégés n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce, le logiciel n’étant pas destiné à faciliter les échanges entre internautes mais à offrir une prestation de service que le présent juge considère comme illicite.
Sur les mesures sollicitées
Il est mis en oeuvre une mesure d’interdiction dans les conditions définies ci-après.
Afin de permettre à la société NT1 d’évaluer son préjudice, il est fait droit à la mesure de production de pièces.
Le site Wizzgo étant en phase de démarrage, le présent juge considère qu’une provision de 10 000 € peut être allouée à la société NT1 au titre de la réparation de son préjudice.
L’équité commande enfin d’allouer à la société NT1 une indemnité de 10 000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
DECISION
Le Juge des référés, statuant contradictoirement, en premier ressort et par décision mise à disposition au greffe,
. Interdisons à la société Wizzgo de copier, reproduire ou mettre à la disposition du public par quelque moyen que ce soit et notamment par l’intermédiaire du logiciel iWizz les oeuvres et programmes diffusés par la chaîne NT1 et ce sous astreinte de 15 000 € par jour de retard, passé le délai de 8 jours après la signification de la présente décision,
. Ordonnons à la société Wizzgo de communiquer à la société NT1 dans les quinze jours de la signification de la présente décision sous la même astreinte que précédemment :
* le nombre d’heures total de programmes copiés de NT1 depuis le jour de la mise en oeuvre du service au jour du prononcé de l’ordonnance ;
* la liste et le nombre d’heures détaillés par programme copié de NT1 depuis le jour de la mise en place du service au jour du prononcé de l’ordonnance ;
* le nombre d’internautes inscrits au service copie au jour du prononcé de l’ordonnance ;
* le montant des recettes publicitaires générées par le service de copie depuis le jour de la mise en place du service jusqu’au prononcé de l’ordonnance,
. Nous réservons la liquidation de l’astreinte ainsi ordonnée,
. Condamnons la société Wizzgo à payer à la société NT1 la somme de 10 000 € à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice et une indemnité de 10 000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
. Déboutons les parties du surplus de leurs demandes,
. Condamnons la société Wizzgo aux dépens.
Le tribunal : Mme Elisabeth Belfort (président)
Avocats : SCP Isge & associés, Me Marc Schuler, Me Anne Perrin
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