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Jurisprudence : Vie privée

mardi 23 septembre 2008
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Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 22 septembre 2008

Kalid O. / Notrefamille.com

commercialisation - données personnelles - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Vu l’assignation délinée le 22 août 2008 par M. Kalid O., suivant laquelle il est en substance demandé en référé de :

Vu les articles 809 du code de procédure civile, 9 du code civil,

Vu la loi informatique et libertés n°78-17 du 6 janvier 1978, l’article 8, titre Il du décret numéro 68-148 du 15 février 1968, l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’article 313-1 du code pénal,
– dire recevable et bien fondée la présente action en justice et constater l’existence de troubles manifestement illicites causés par Notrefamille.com SA et subi par M. Kalid O., par le fait de la commercialisation de produits dérivés estampillés du patronyme de l’intéressé au mépris des dispositions légales régissant les droits et libertés fondamentaux de la personne,
– ordonner la cessation de la commercialisation des produits généalogiques dérivés “Coffret des O.”, “Carte des O.” et “Histoire des O.” sur le site internet de Notrefamille.com SA, sous astreinte journalière de 5000 €,
– ordonner la suppression du patronyme “O.” des bases de données généalogiques privées et des supports d’exploitations commerciales de Notrefamille.com SA,
– ordonner la communication du numéro de la déclaration Cnil des bases de données d’état civil du défendeur, de la copie de l’autorisation de consultation des registres d’état civil “O.” délivrée par le Procureur de la République pour les données généalogiques, des modalités et conditions dans lesquelles rachat et le transfert d’état civil de l’Insee ont été opérées,
– condamner la société notrefamille.com au paiement de la provision de trente mille €, au titre de la réparation du préjudice subi par le demandeur,
– ordonner la publication sur les sites internet de Notrefamille.com SA et dans le journal “Le Monde” de la décision de justice, et la prise en charge des frais de justice engagés par le demandeur ;

Vu ses observations en réplique ;

Vu les conclusions de la société Notrefamille.com, qui demande de :
Vu les dispositions de la loi n°2004-801 modifiant la Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dite Informatique et Libertés, et notamment l’article 7-5°,
– dite qu’il n’y a pas lieu à référé et débouter Monsieur Kalid O. de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Monsieur Kalid O. à payer à la société Notrefamille.com la somme de 1500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens.

DISCUSSION

M. Kalid O. expose que sur le site internet du défendeur se trouvent commercialisés des produits généalogiques dérivés de son patronyme.

Il considère que cette exploitation est manifestement illégale, et de nature à troubler sa tranquillité et sa vie privée ; ces produits, vendus sous l’appellation “coffret des O.”, “carte des O.” et “histoire des O.”, n’ont à ses yeux pas de contenu légitime, sont de nature à tromper les internautes sur leur origine, tout en portant atteinte à son image et à ses propres intérêts légitimes.

Le traitement opéré ne présente pas de caractère nominatif ; pour ne pas comporter les nom et prénom, et ne résulte pas d’un acte volontaire, soit une déclaration d’inscription dans les annuaires généalogiques remontant à moins de 100 ans.

Il ajoute qu’en France, la généalogie est une activité encadrée par l’article 8, du titre II du décret n°68-148 du 15 février 1968, qui prévoit que “les registres de l’Etat civil datant de moins de 100 ans ne peuvent être directement consultés que par des agents de l’État habilités à cet effet et les personnes munies d’une autorisation écrite délivrée par le Procureur de la République”, laquelle peut être accordée à “toute personne effectuant des recherches généalogiques la concernant ou sa famille, sa parentèle, à tout généalogiste professionnel muni d’un mandat de son client, et à toute personne effectuant des recherches universitaires ou para universitaires”.

En l’espèce, aucune de ces conditions n’est juridiquement remplie permettant de considérer que l’activité de la société Notrefamille.com SA est régulière, et le demandeur estime qu’une commercialisation étendue de tels produits contrefaits présente des risques de dérives, soit l’application d’un tel modèle économique à d’autres sources publiques d’informations, d’ordre fiscal, judiciaire ou médical, le demandeur relevant le chiffre d’affaire réalisé en 2006 par la société défenderesse.

En réplique, il soutient que les références présentées aux sources de l’Insee ne sont pas conformes aux conditions générales (point 2.2) prévoyant leur mise à disposition du public, n’évoquant que les noms de famille alors que des prénoms ont également été fournis par l’Insee, offrant la possibilité de recoupements.

Il remarque notamment que les déclarations auprès de la Cnil sont toujours au nom de la société reprise par le défendeur, et que le patronyme litigieux figure dans les adresses URL permettant au moteur de recherche de la sélectionner.

Il estime au total que la suppression partielle et tardive du patronyme litigieux des bases de données confirme le bien-fondé de son assignation, et soutient que la société défenderesse a su détourner les lois sur la propriété intellectuelle, l’informatique et les libertés et sur la consultation des états civils.

La société anonyme Notrefamille.com fait d’abord valoir que l’affichage du nom patronymique “O.” par le moteur de recherche Google sous forme de lien avec les sites édités par elle sont naturellement mis en place par le moteur de recherche, et qu’elle n’a procédé à la mise en place d’aucun lien commercial sous forme de mots clefs auprès de la société Google sur la base de ce nom.

Elle soutient ensuite que les services mis en cause ne comportent pas de données à caractère personnel relatives au demandeur.

Elle invoque à ce sujet les dispositions de l’article 2 alinéa 2 de la loi n°2004-801 du 6 août 2004 modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés définissant les données à caractère personnel ; dans la mesure où considération doit être prise de l’ensemble des moyens en vue de permettre I’identification, les données résultant du recoupement des nom, commune et du cumul des naissances sur quatre périodes, alors que le prénom et la date précise de naissance font défaut, ne peuvent être considérées à caractère personnel ces seuls éléments ne permettent pas l’identification directe ou indirecte de la personne physique considérée.

Elle souligne le fait qu’en l’espèce, la source des services incriminés est un fichier statistique de l’Insee issu des données de recensement, et dont l’exploitation est autorisée par l’acquisition d’une licence par la société Notrefamille.com, et que ces données statistiques sont publiques, pour faire valoir que la seule reproduction d’un patronyme, qui se trouve être celui du demandeur, mais sur lequel il ne peut revendiquer de droit de propriété, ne constitue pas davantage une atteinte à la vie privée.

Elle ajoute qu’il est admis que les fichiers, les logiciels et les traitements informatiques sont susceptibles d’exploitation par la personne ou par l’entreprise qui les a constitués, ce qui n’empêche pas le titulaire originaire des données d’exercer sur celles-ci un droit d’accès, de rectification et de suppression dans les conditions prévues par la loi n°78-18 du 6 janvier 1978 modifiée.

S’agissant des bases de données généalogiques, service qu’elle souligne être distinct des services incriminés, elle admet que les dispositions de la Loi Informatique et Libertés ont vocation à s’appliquer ; la société Notrefamille.com invoque toutefois l’intérêt légitime justifiant, au sens des dispositions de la loi en son article 7-5°, la collecte de données à caractère personnel sans le consentement préalable de la personne concernée ; l’activité qu’elle exerce, consistant en la diffusion par son site d’informations sur les noms patronymiques, ne rend pas nécessaire de son point de vue le recueil de l’autorisation préalable de toutes les personnes qui les portent.

Elle précise que quoi qu’il en soit, pour démontrer sa bonne volonté et son souhait de mettre fin au différend sans pour autant reconnaître sa responsabilité, le nom patronymique O. a été supprimé des bases, mais qu’avant la suppression, la recherche à partir du patronyme “O.” aboutissait à obtenir sept prénoms différents, dont aucun ne correspondait à celui du demandeur.

Elle souligne le fait que la rubrique “Vie privée” du site rappelle les droits d’accès, de modification, de rectification et de suppression des données dont le titulaire de données personnelles dispose en vertu de la loi, et fournit les renseignements relatifs à la déclaration faite auprès de la Commission Nationale de l’informatique et des Libertés.

Enfin, elle affirme qu’aucune vente du dossier “La France de votre Nom” n’a été faite sous le patronyme considéré.

Attendu qu’aux termes de l’article 809 du Code de Procédure Civile, il peut toujours être prescrit en référé, même en cas, de contestation sérieuse, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, en particulier pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Qu’il convient de rappeler que les demandes s’apprécient au moment où cette juridiction se prononce ;

Attendu en premier lieu que M. O. vise les dispositions de l’article 8 § 1 du titre II du décret n° 68-148 du 15 février 1968, suivant lesquelles les registres de l’état civil datant de moins de 100 ans ne peuvent être directement consultés par d’autres personnes que les agents habilités de l’Etat, que sur autorisation écrite du Procureur de la République ;

Mais attendu que la société défenderesse, qui affirme que les données afférentes aux produits mis en cause, soit “le coffret des O.”, “la carte des O.” et l’histoire des O.”, ne sont pas extraites de registres d’état civils invoque l’article 2.1 des conditions générales de mise à disposition du public des produits d’information statistique édités par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, lui concédant, d’ailleurs de façon non exclusive, le droit de réutilisation des données, y compris à des fins commerciales ;

Qu’elle justifie par règlement de facture le 26 mai 2000, de l’acquisition auprès de l’Insee d’un fichier des noms de famille sur la période de 1891 à 1990 par communes de naissance, et d’un fichier des prénoms de 1900 à 1997 ;

Que la demande portant sur la communication d’autorisations ou de numéro de déclaration auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés “des bases de données d’état civil” se trouve par conséquent à cet égard sans objet ;

Que le visa d’autre part des dispositions de l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, en ce que, selon le demandeur, il aurait été porté atteinte à ses attributs patrimoniaux et moraux par le fait de l’utilisation de son nom, se trouve inapproprié, les dispositions en question ayant pour objet la protection d’une oeuvre de l’esprit ; que s’agissant de l’allégation suivant laquelle les produits litigieux sont présentés de telle manière que les internautes peuvent se méprendre sur leur origine, le demandeur n’indique pas clairement les éléments prétendument trompeurs ;

Attendu en réalité qu’il s’agit d’examiner d’une part si la société Notrefamille.com a fait usage de données à caractère personnel concernant le demandeur, et si dans cette hypothèse celui-ci est fondé à s’y opposer ; qu’il s’agit d’autre part de déterminer s’il a pu être porté atteinte à sa vie privée ;

Attendu sur le premier point que suivant les dispositions de l’article 2 § 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés le données à caractère personnel sont définies comme “toute information relative à une personne physique identifiée, ou qui peut être identifiée directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres” ;

Que dans le cas présent, il n’est pas contesté que sur les produits dont la diffusion est contestée seul figure le patronyme O., qui à lui seul n’identifie d’évidence pas le demandeur, qui ne disconvient pas n’être pas le seul à le porter ; que les termes de sa demande tendent à faire constater qu’une identification indirecte est possible ; qu’il semble invoquer (page 3 de ses conclusions en réplique) une identification possible par la localisation géographique ; que “la carte de France de mon nom de famille” ne comporte pourtant que des données statistiques fondées sur le recensement des noms et communes de naissance, que la défenderesse explique (pièce 5) constituées à partir des données fournies par l’Insee à partir des recensements de la population ; qu’en l’espèce, ce document fait ressortir le recensement, sans autre précisions, de plusieurs naissances de personnes au nom du demandeur dans un département, réparties dans deux communes, mais sans indication, ni de la date précise de ces naissances, ni des prénoms ;

Qu’il ne ressort donc pas avec l’évidence devant s’imposer à cette juridiction que le demandeur peut ainsi se trouver identifié, directement ou indirectement, par référence à un ou plusieurs éléments lui étant propres ;

Que la société défenderesse explique au sujet du produit “votre nom dans l’histoire” qu’elle propose un moteur de recherche gratuit permettant d’accéder aux différents sites internet listant, pour un patronyme donné, les occurrences dans des bases historiques par elle constituée ; qu’elle atteste en revanche (pièce 17) n’avoir pas procédé à l’achat de liens commerciaux auprès de tel ou tel moteur de recherche pour promouvoir le nom patronymique « O.” ou tout autre ;

Attendu que le demandeur évoque le fait que les produits acquis par la société Notrefamille.com portent sur des prénoms et des noms, fichiers, qui, bien que dissociés, peuvent faire l’objet de recoupements ; que cependant, outre le fait qu’il convient ne pas pouvoir démontrer sa réalité, le représentant légal de la société défenderesse affirme à l’audience qu’un tel recoupement est impossible ; qu’aucun élément permettant d’accréditer une telle hypothèse n’est rapporté devant cette juridiction ;

Attendu en définitive qu’il n’est donc nullement évident que la réutilisation ainsi faite par la société Notrefamille.com de telles données publiques, issues de recensements réalisés par l’Insee puisse porter atteinte à un droit ou intérêt à caractère légitime du demandeur, et caractériser par conséquent à son égard un trouble à caractère manifestement illicite ;

Attendu qu’il ne peut davantage être retenu de trouble manifestement illicite pouvant résulter de l’atteinte invoquée à la vie privée de M. Kalid O. ; que celui-ci évoque en effet l’atteinte portée à son image et à ses intérêts légitimes, mais ne les caractérise nullement, ne faisant état d’aucune information publiée révélant tel ou tel aspect intime appartenant à la sphère privée, ou pouvant raisonnablement affecter sa tranquillité, le demandeur ne soutenant pas que son domicile puisse être mis à jour ;

Attendu que M. O. demande par ailleurs la suppression du patronyme “O.” des bases de données généalogiques privées et des supports d’exploitation commerciale de Notrefamille.com SA ;

Qu’il peut être constaté en premier lieu que la société Notrefamille.com, qui précise qu’elle a été constituée en 1994 sous le nom d’Infoduc, verse au débat copie du récépissé en date du 8 septembre 2000 d’une déclaration faite auprès de la Commission Nationale de l’informatique et des Libertés d’un traitement automatisé d’informations nominatives dont la finalité est la création et l’exploitation d’un fichier de généalogies sur un site internet ;

Que bien que le produit mis en cause ne soit pas clairement désigné par le demandeur, la société défenderesse justifie avoir procédé le 29 août 2008 à la suppression du patronyme “O.” des bases de données généalogiques privées utilisées par le service intitulé “des millions d’arbres généalogiques”, après avoir constaté l’existence d’une liste constituée de ce patronyme associé à plusieurs prénoms, dont toutefois aucun ne correspondait à celui du demandeur ;

Que la demande s’avère sur ce point sans objet ;

Attendu, réserve faite de toutes autres constatations pouvant être faites par la Commission Nationale de l’informatique et des Libertés, saisie parallèlement par le demandeur par courrier en date du 14 juillet 2008, qu’il n’y a lieu à référé, en l’absence de trouble à caractère manifestement illicite et de dommage subi par le demandeur de nature à générer une obligation non sérieusement contestable à la charge de la société Notrefamille.com de le réparer ;

Qu’il serait contraire à l’équité de laisser à la charge de la société Notrefamille.com la charge de la totalité de ses frais irrépétibles ; que M. Kalid O. sera condamné à lui verser à ce titre la somme de 800 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Que les dépens seront laissés également à sa charge.

DECISION

Statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Vu les dispositions de l’article 809 § 1 du Code de Procédure Civile,

. Disons n’y avoir lieu à référé,

. Condamnons M. Kalid O. au paiement des dépens et au paiement à la société anonyme Notrefamille.com de la somme de 800 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal : M. Emmanuel Binoche (président)

Avocat : Me Olivier Iteanu

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