Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Marques

mardi 29 octobre 2002
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de Grande Instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 29 octobre 2002

E. O. / Sarl X

balise méta - constat agent assermenté app - contrefaçon - marques - mot clef - nom commercial

Faits et procédure

M. O. exploite, une activité commerciale de fabrication et de réparation d’orgues de barbarie.

Il est propriétaire de la marque « orgues O. », déposée le 3 juillet 2000 et enregistrée sous le numéro 00 3 039 272 dans les classes 15 et 16 pour désigner des instruments de musique, orgues de barbarie, livrets musicaux et cartons perforés pour orgues de barbarie.

Il est par ailleurs titulaire d’un site internet qu’il exploite sous le nom www.orgues-de-barbarie.com pour présenter son fonds de commerce.

Faisant valoir que l’un de ses concurrents dans ce marché très étroit, la société X., utilise le nom de Odin en tant que mot clé sur des moteurs de recherche conduisant automatiquement l’internaute sur le site www.XXX.com , ainsi que le montre le procès verbal de constat dressé le 25 octobre 2000 et que ces agissements se sont poursuivis en dépit d’une mise en demeure à la suite de laquelle il avait pu sembler que la société X avait respecté l’engagement qu’elle avait pris de faire supprimer toute référence au nom et à la marque Odin, M. O. a, le 19 juillet 2001, fait délivrer assignation à cette société aux fins de voir dire, sur le fondement des articles L 711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, le 9 et 1382 du code civil et 8 de la Convention de l’Union de Paris :

– que l’utilisation du nom de Odin à titre de balise méta sur son site « XXX.com », constitue des actes de contrefaçon de la marque Odin, une atteinte au nom patronymique et commercial et des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Et en conséquence d’obtenir :

– que soit interdit à la société X d’user sous quelque forme que ce soit de la dénomination « Odin » et ce sous astreinte de 800 € par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du jugement,

– l’allocation de la somme de 16 000 € à titre de dommages-intérêts ,

– que soit ordonné la publication du jugement sur le site de la société X ainsi que dans trois journaux ou revues au choix du requérant dans la limite d’un coût global de 8000 € HT aux frais de la société X et ce au besoin à titre de dommages-intérêts,

Il sollicite en outre le bénéfice de l’exécution provisoire, l’allocation de la somme de 5000 € au titre de ses frais irrépétibles et la condamnation de la défenderesse aux dépens dont distraction au profit de son conseil.

La société X conclut en premier lieu à la nullité de la marque « Orgues Odin ». Elle estime que la dénomination « Orgues » est essentiellement descriptive de l’objet et des produits qu’elle désigne, caractère que n’atténue pas l’adjonction du patronyme Odin.

En deuxième lieu, elle précise d’une part, qu’elle s’est bornée à faire mention du nom de Odin sur la page source de son site sans jamais reproduire la marque « orgues Odin » qui seule pourrait constituer un signe distinctif et d’autre part que ce nom n’a pas été utilisé pour désigner des produits ou services mais seulement comme balise méta, ce qui ne saurait constituer une contrefaçon de marque dès lors qu’elle n’a jamais commercialisé d’orgues ni de partitions en se servant du mot « Odin ».

Elle souligne que le risque de confusion est inexistant en l’espèce car, ainsi que l’indique M. O., le marché est particulièrement étroit, de sorte que tous les intervenants sur celui-ci sont clairement identifiés et ne peuvent se méprendre entre les orgues « X » et les orgues « Odin ».

Elle conclut en troisième lieu au débouté de la demande fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire en relevant qu’elle n’a jamais eu pour objectif de profiter indûment de la notoriété de la maison Odin et détourner sa clientèle, détournement dont le demandeur ne justifie pas.

Elle oppose enfin que l’usage du nom Odin sur son site n’a porté aucune atteinte à la vie privée du demandeur.

Elle demande de lui donner acte de ce qu’elle a supprimé définitivement toute référence au terme « Odin » dans la totalité des pages de son site internet et ce dès le 10 octobre 2000, démontrant ainsi de sa parfaite bonne foi et précise que ce n’est qu’à la suite d’une erreur qu’un mot clé a été omis jusqu’en juillet 2001.

Elle sollicite l’allocation de la somme de 4500 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

A titre subsidiaire, elle demande de réduire l’indemnisation du demandeur à un euro symbolique.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 septembre 2002.
La discussion

Sur la validité de la marque « orgues Odin »

L’article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que « le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés.

Sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire ou usuelle du produit ou du service … »

En l’espèce, si le terme « orgues » est certes en lui-même exclusivement descriptif de l’objet qu’il désigne, l’adjonction du nom de « Odin », patronyme du facteur des orgues dont il s’agit, confère à l’ensemble un caractère distinctif, en ce qu’il permet de différencier la production de l’entreprise Odin de celle de ses concurrents.

En conséquence, la société X sera déboutée de sa demande de ce chef.

Sur la contrefaçon

Aux termes de l’article L 713-3 b du code de la propriété intellectuelle, « l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement sont interdits s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public. »

L’article 5.1 et 5.3 d de la directive européenne n°89-104 du 21 décembre 1988 précise que l’interdiction couvre tout usage dans la vie des affaires et en particulier l’usage dans les papiers d’affaires et la publicité.

La société X développe tout comme les établissements Odin, une activité de fabrication et de réparation d’orgues de barbarie, de livrets musicaux et de cartons perforés pour orgues de barbarie.

L’objet du site internet ouvert par la société X est de faire connaître ses propres produits en bénéficiant du large vecteur propre à ce moyen de communication.

L’utilisation du nom « Odin » comme mot-clé sur la page source du site www.XXX.com constitue l’usage de l’élément particulièrement distinctif de la marque « Orgues Odin » à titre de publicité.

Cet usage a incontestablement pour objet de conduire les internautes qui portent un intérêt aux orgues de barbarie et à leurs accessoires à consulter un site qu’ils n’auraient pas trouvé d’initiative, faute d’avoir connu la société X. Ainsi cette dernière profite-t-elle de la renommée de la marque Odin pour se faire connaître et élargir sa clientèle.

Un tel procédé est de nature à nuire au titulaire de la marque en ce qu’il engendre un risque de confusion entre les deux entreprises. En effet, un consommateur normalement vigilant et informé est fondé à penser que le signe Odin, utilisé par une société qui commercialise des orgues de barbarie, l’est avec le consentement de son titulaire du fait d’accords commerciaux alors que tel n’est pas le cas.

Le risque de confusion est d’autant plus patent que la société défenderesse fabrique des cartons perforés pour tous les orgues de barbarie, incluant ceux de la marque « Odin » ce qui n’est pas contesté.

La circonstance que le marché ne comporte qu’un faible nombre d’intervenants qui se connaissent ne permet pas d’exclure ce risque, même s’il peut être admis qu’il le réduise, car l’objectif publicitaire du site, bien que non exclusif, tend précisément à attirer une clientèle nouvelle, moins avertie que les acteurs habituels.

La société X n’est pas fondée à invoquer sa bonne foi, inopérante en cette matière.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire

M. Odin, qui n’invoque aucun fait distinct de ceux incriminés au titre de la contrefaçon, sera débouté de la demande formée sur ce fondement.

Sur l’atteinte au nom commercial

Le demandeur exerce son activité commerciale à titre individuel sous la dénomination « Etablissement Odin » ;

L’usage de ce nom par un concurrent sans autorisation et dans des circonstances telles qu’elles détournent la clientèle potentielle vers celui-ci en profitant de la notoriété de cette enseigne, porte incontestablement préjudice au fonds dont M. O. est propriétaire et dont le nom constitue un des éléments ;
Sur l’atteinte au nom patronymique

Les dispositions de l’article 9 du code civil qui protègent les atteintes à la vie privée n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce dans la mesure où le nom ne ressort pas du domaine de la vie privée et ce d’autant moins qu’il constitue par ailleurs le nom commercial ;

En tout état de cause, l’usage du nom du demandeur, dans les conditions précédemment décrites n’est pas de nature à lui porter préjudice à titre individuel.
Sur les mesures réparatrices

Il convient en premier lieu d’interdire à la société Le Ludion de faire usage du signe Odin sous quelque forme que ce soit et en particulier comme balise méta et ce sous astreinte provisoire de 600 € par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de la présente décision, aucun délai ne se justifiant en l’espèce dès lors que la défenderesse affirme qu’elle aurait d’ores et déjà supprimé toute référence à la marque ;

M. O. sollicite à titre de dommages-intérêts la somme de 16 000 €. Il fait valoir que les atteintes à la marque « Orgues Odin » ont duré pendant plus d’une année, que son site internet est très visité et que les orgues de cette marque sont d’une valeur sensiblement supérieure à celle de la défenderesse ;

Il doit être relevé que la société X n’a pas, comme elle le soutient, fait supprimer totalement les références « Odin » sur les moteurs de recherches et sur son site dès la mise en demeure qui lui a été adressée par M. O. en octobre 2000 à l’exception d’une seule omission involontaire sur une page du site laquelle a été mise à jour le 20 juillet 2001, soit le lendemain de la délivrance de l’assignation ;

Le demandeur verse en effet aux débats plusieurs résultats de recherches effectuées sur les moteurs de recherche Alta Vista le 16 décembre 2000, sur Francite le 8 janvier 2001 et les 4 et 13 septembre 2001, et sur Google le 20 mars 2002 desquels il résulte que le nom de Odin renvoie prioritairement sur le site www.XXX.com ou même au journal « Le Canard de Barbarie » édité par la défenderesse, journal dont la brève présentation mentionne le signe Odin pour renvoyer sur le site de la société X ;

Ces éléments sont confortés par un constat dressé le 31 mai 2001 par l’Agence pour la Protection des Programmes qui met en évidence l’insertion de balises méta sur le site de la défenderesse ;

L’importance du préjudice doit néanmoins être relativisée au regard tout d’abord du fait que M. O., comme il le souligne lui-même, dispose d’un site qui est très consulté, sans doute en raison de sa notoriété dans son domaine de spécialité mais également parce qu’il lui a donné un nom générique « orgues de barbarie.com » qui, d’une manière parfaitement régulière lui permet d’attirer un plus large public que le site de son concurrent et en second lieu en raison de l’absence d’élément démontrant une baisse de consultation ou une baisse de chiffre d’affaires pendant la période considérée ;

En conséquence, il sera alloué à M. O. la somme de 8000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice, toutes causes confondues ;

La publication du dispositif de la présente décision sera ordonnée dans deux journaux spécialisés au choix du demandeur et aux frais du défendeur sans que le coût de chaque insertion puisse excéder 3000 € HT ;

La nature du litige commande d’ordonner l’exécution provisoire du jugement ;

Il serait inéquitable que M. Odin supporte la charge de ses frais non compris dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

La société XXX sera condamnée aux entiers dépens de l’instance, lesquels pourront être recouvrés directement par son conseil conformément aux dispositions de l’article 699 du ncpc.
La décision

Le tribunal,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

. Déboute la société X de sa demande en nullité de la marque « Orgues Odin »,

. Dit que l’utilisation par la société X du terme « Odin » comme mot-clé sur les pages de son site internet www.leludion.com , sans l’autorisation de M. O., constitue une contrefaçon de la marque « Orgues Odin », au détriment de celui-ci et une atteinte au nom commercial,

. Interdit la poursuite de ces actes illicites sous astreinte de 600 € par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision,

. Condamne la société X à payer à M. O. la somme de 8000 € à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues,

. Autorise la publication de la présente décision dans deux journaux dont un journal ou magazine spécialisé aux choix du demandeur et aux frais de la société X, sans que le coût de cette mesure puisse excéder la somme de 3000 € HT par insertion,

. Déboute M. O. de ses demandes plus amples,

. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision,

. Condamne la société X à payer à M. O. la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,

. Condamne la société X aux entiers dépens.

Le tribunal : Mmes Belfort, Vallet et Desmure (vice présidentes)

Avocats : Me Bouvier Ravon, Me Maass

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Bouvier Ravon est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Maass est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Belfort est également intervenu(e) dans les 32 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Desmure est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Vallet est également intervenu(e) dans les 21 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.