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Jurisprudence : Marques

vendredi 14 janvier 2005
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Tribunal de grande instance de Nanterre Ordonnance de référé 16 décembre 2004

Hotels Meridien / Google France

commerce électronique - contrefaçon - interdiction - lien - marque notoire - marques - référencement

FAITS ET PROCEDURE

Vu l’assignation introductive de la présente instance, en la forme des référés, délivrée le 25 octobre 2004 à la société Google France, par laquelle la société des Hotels Meridien nous demande au visa des articles L 716-6, L 713-2 et L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle de :

– ordonner à la société Google France de supprimer de son générateur de mots-clés accessible sur son site internet www.google.fr tout mot ou expression reproduisant de manière servile ou imitante les marques Meridien n°1.613.199 et Le Meridien n°00/03.006.394 de la société des Hotels Meridien, et ce sous astreinte de 5000 € par infraction constatée à compter de l’ordonnance à intervenir,
– interdire à la société Google France d’afficher des annonces publicitaires au profit d’entreprises offrant des produits ou services protégés dans la classe 42 par les marques Meridien n°1.613.199 et Le Meridien n°00/03.006.394 de la société des Hotels Meridien lors de la saisie sur le moteur de recherche www.google.fr d’une requête reproduisant les marques précitées, et ce sous astreinte de 5000 € par infraction constatée à compter de l’ordonnance à intervenir,
– condamner la société Google France aux entiers dépens,
– condamner la société Google France à verser à la société des Hotels Meridien la somme de 3000 € en application de l’article 700 du ncpc ;

Vu les conclusions déposées à l’audience par la société Google France, demandant à titre principal de constater que l’action n’a plus d’objet et à titre subsidiaire de juger que les conditions posées par l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle pour permettre des mesures d’interdiction ne sont pas remplies, et demandant en tout état de cause de :

– dire et juger qu’aucune mesure d’interdiction générale ne saurait s’appliquer à des liens commerciaux non précisément identifiés comme manifestement contrefaisants, en fonction des termes qui les déclenchent et des produits et services en cause ;
– dire et juger que les sites litigieux identifiés postérieurement à l’assignation au fond délivrée le 1er octobre 2004 ne sauraient être incriminés sur le fondement de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle dès lors que le tribunal n’a été préalablement saisi d’aucune demande les concernant,
– dire et juger qu’aucune mesure ne saurait être prononcée pour imposer à Google France de maintenir le blocage des liens commerciaux répondant à des requêtes combinant les termes « meridien » et « le meridien » à des termes appartenant au domaine public ;
– dire et juger qu’aucune mesure ne saurait être prononcée pour imposer à Google France de maintenir le blocage des liens commerciaux répondant à des requêtes portant sur des termes ou expressions distinctes telles que : le meridien, le meriden, le meridan, lemeridien, lemeridian, lemeriden, lemeridan, meridiana, meiridan, meridan, meridin, meridienne, méridienne, meridiene, meridianne, meridiane, meridiano, meridiani, meiridn, le meridiano, le meridiani, lemeiridn, lemeridiana, lemeiridan, lemeridan lemeridin, lemeridienne, lemeridiene, lemeridianne, lemeridiane, le meridiana, le meiridan, le meridan, le meridin, le meridienne, le meridiene, le meridianne, le meridian, meridiens, hotelmeridien,
– débouter la société des Hotels Meridien de toutes ses demandes,
– condamner la société des Hotels Meridien aux dépens et à régler à la société Google France la somme de 10 000 € en application de l’article 700 du ncpc ;

DISCUSSION

Attendu qu’il n’est pas contesté que la société des Hotels Meridien est titulaire des marques Meridien n°1.613.199 et Le Meridien n°00/03.006.394, régulièrement enregistrées à l’Inpi pour une quantité de produits et services, et notamment pour les services d’hôtellerie, activité pour laquelle elle est mondialement connue ;

Que ces marques sont incontestablement notoires au sens de l’article L 715-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Que reprochant à la société Google France de porter atteinte à ses marques dans le cadre des liens promotionnels s’affichant lors de l’utilisation du moteur de recherche sur le réseau internet dénommé Google, la société des Hotels Meridien a assigné celle-ci par acte du 1er octobre 2004, devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de faire juger qu’elle s’est rendue coupable de contrefaçon et de faire prononcer des mesures d’interdiction et de réparation ;

Attendu qu’aux termes de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle, « lorsque le tribunal est saisi d’une action en contrefaçon, son président saisi et statuant en la forme des référés, peut interdire, à titre provisoire, sous astreinte, la poursuite des actes argués de contrefaçon […] La demande d’interdiction […] n’est admise que si l’action au fond apparaît sérieuse et a été engagée dans un bref délai à compter du jour où le propriétaire de la marque […] a eu connaissance des faits sur lesquels elle est fondée. Le juge peut subordonner l’interdiction à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée » ;

Attendu que la société Google France soutient tout d’abord que l’action de la société des Hotels Meridien fondée sur ce texte n’a plus d’objet parce qu’elle a fait le nécessaire pour supprimer les liens commerciaux litigieux ;

Que la défenderesse produit des constats d’huissier démontrant effectivement qu’à la date de ces constats (14 octobre, 12 novembre et 29 novembre 2004), certains liens litigieux n’apparaissent plus ; que néanmoins rien ne prouve que les problèmes sont complètement et définitivement résolus ; que les essais auxquels le demandeur a fait procéder par huissier le 15 novembre et le 1er décembre 2004 laissent penser le contraire ; qu’en effet tant que la société Google France ne met pas le terme litigieux en négatif absolu, il est susceptible d’être à l’origine de nouveaux liens commerciaux étant donné la part d’automaticité et le rôle des enchères dans le système imaginé par Google France pour la création et l’affichage des annonces publicitaires ; qu’ainsi la présente action présente toujours un intérêt pour la demanderesse ;

Attendu que la première des conditions exigées par l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle pour la demande d’interdiction provisoire est incontestablement remplie, puisque la société des Hotels Meridien a eu connaissance des faits qu’elle reproche à la société Google France au mois d’avril 2004, et qu’elle a assigné dans les six mois, tout en ayant utilisé plusieurs semaines de discussion avec la société Google France pour essayer d’obtenir satisfaction à l’amiable ;

Attendu que pour s’opposer aux mesures sollicitées, la société Google France dénie en second lieu le caractère sérieux de l’action en contrefaçon ;

Que cependant la mise en œuvre de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle ne nécessite pas que la contrefaçon soit établie de façon incontestable, mais seulement qu’il existe des éléments permettant de penser que l’action au fond a des chances de prospérer ;

Attendu qu’en l’espèce la société des Hotels Meridien produit deux constats d’huissier dressés les 27 mai, 10 juin et 1er juillet 2004 démontrant que notamment lors de requêtes de recherche combinées avec les termes « meridien » ou « lemeridien », s’affichaient, sur le site www.google.fr avec les résultats de la recherche, des liens publicitaires pour des services hôteliers concurrents de la société des Hotels Meridien ; qu’il est également établi que dans la liste des mots clés suggérés par le système « Adwords » aux candidats annonceurs, on trouve les termes « meridien » et « le meridien », par exemple encore dernièrement lorsque l’annonce se réfère à l’activité hôtelière ;

Attendu que le système de référencement payant appelé « Adwords » proposé par la société Google France repose sur une corrélation étroite entre les mots clés choisis par un annonceur pour provoquer la parution de son annonce et la requête de l’utilisateur du moteur de recherche ; qu’ainsi dès lors qu’un lien commercial apparaît, cela implique que l’annonceur a choisi comme mot clé au moins un des mots composant la requête ;

Que même si elle s’en défend, la société Google France a manifestement un rôle actif dans les choix faits par l’annonceur ; que par exemple dans le chapitre « outils de suggestion » de son programme de création d’un lien commercial « Adwords », elle suggère d’ajouter des mots clés supplémentaires pour « aider à améliorer la pertinence de l’annonce » ;

Qu’ainsi elle propose une liste de « mots clés spécifiques » en incitant dans les termes suivants le client à en choisir :

« Pour augmenter votre taux de clics, envisagez de remplacer les mots clés génériques par les mots clés plus précis présentés ci-dessous qui vous semblent pertinents » ;

Que de même dans la « fonction avancée », la liste proposée est ainsi présentée :
« Vos annonces peuvent ensuite être automatiquement diffusées pour ces requêtes supplémentaires » ;

Que la clause de limitation de garantie rappelant à l’annonceur qu’il est responsable des mots clés sélectionnés ne saurait suffire à dégager la société Google France de sa responsabilité vis-à-vis des tiers ;

Attendu que l’utilisateur du moteur de recherche qui en formulant une requête avec les marques « meridien » ou « le meridien » cherchait les services couverts par les marques en cause et trouve un lien commercial avec une autre offre pour des services identiques ou similaires risque de croire à une même origine ;

Attendu que par conséquent l’emploi qui est fait par la société Google France de la marque d’autrui, à travers la requête de l’utilisateur, pour réaliser la promotion d’un produit visé par cette marque, est susceptible de tomber sous le coup des interdictions posées par les articles L 713-2 et L 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Que le caractère sérieux de l’action au fond engagée par la société des Hotels Meridien est donc indéniable ;

Que par conséquent celle-ci est fondée à agir en la forme des référés sur le fondement de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle et à solliciter des mesures provisoires destinées à empêcher qu’il soit porté atteinte à ses droits ;

Attendu que la société Google France a fait des efforts méritoires pour satisfaire les exigences de la société des Hotels Meridien ; que cependant, il subsiste des problèmes et de sérieux doutes sur la stabilité des remèdes mis en œuvre pour respecter les marques protégées ; qu’il convient donc de faire partiellement droit, dans l’attente du jugement sur le fond, aux mesures sollicitées, dans les conditions fixées au dispositif ;

Que la partie perdante doit supporter les dépens par application de l’article 696 du ncpc ; qu’en outre il serait inéquitable de laisser les autres frais de l’instance intégralement à la charge de la demanderesse ;

Attendu qu’il y a urgence à faire cesser les actes argués de contrefaçon et qu’il convient donc d’assortir la présente décision de l’exécution provisoire ;

DECISION

Nous, président, statuant en la forme des référés, publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

. Disons que se trouvent réunies les conditions de mise en oeuvre des dispositions de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle ;

En conséquence, à titre provisoire :

. Ordonnons à la société Google France de supprimer de la liste des mots clés suggérés dans son service d’annonces publicitaires appelée « Adwords » accessible sur le réseau internet, les mots ou expressions suivants :

meridien au singulier ou au pluriel, avec accent ou sans accent,
le meridien accolés ou séparés, au singulier ou au pluriel, avec accent ou sans accent,
les mêmes, combinés avec hôtel ou avec resort au singulier ou au pluriel, avec accent ou sans accent ;

et ce sous peine de 150 € par jour de retard passé le délai de 8 jours à compter de la signification de la présente ordonnance,

. Interdisons à la société Google France d’afficher lors des requêtes des utilisateurs de son moteur de recherche, portant sur les termes suivants :

meridien au singulier ou au pluriel, avec accent ou sans accent,
le meridien accolés ou séparés, au singulier ou au pluriel, avec accent ou sans accent,
les mêmes, combinés avec hôtel ou avec resort au singulier ou au pluriel, avec accent ou sans accent ;

des liens commerciaux concernant des produits ou services couverts par les marques Meridien n°1.613.199 et Le Meridien n°00/03.006.394,

et disons que dans les 72 h de la demande qui lui en sera faite, la société Google France devra désactiver un tel lien commercial, sous peine d’astreinte de 150 € par jour de retard ;

. Disons nous réserver le pouvoir de liquider les astreintes fixées ci-dessus ;

. Ordonnons l’exécution provisoire ;

. Condamnons la société Google France à payer à la société des Hotels Meridien la somme de 2000 € par application de l’article 700 du ncpc ;

. Condamnons la société Google France aux dépens.

Le tribunal : Mme Hélène Jourdier (vice président)

Avocats : Me Cyril Fabre, Me Alexandra Neri

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