Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Jurisprudences

lundi 31 janvier 2022
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal judicaire de Paris, ordonnance de référé, 14 janvier 2022

M. X. / Facebook

art 145 du CPC - compte anonyme - harcèlement - identification - référé - réseaux sociaux

Par acte du 20 septembre 2021, Monsieur X. a assigné la société Facebook Ireland Limited et la société SARL Facebook France devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris.

A l’audience du 16 novembre 2021, Monsieur X. comparait représenté par son conseil, il demande au juge des référés de :

-dire recevables et bien fondées ses demandes,
-ordonner aux défenderesses de lui communiquer dans un délai de 8 jours puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard pendant 60 jours :
*toutes données permettant l’identification de l’auteur du profil Instagram accessible à l’adresse https://www.instagram.com/Y. notamment les nom, prénom, adresse postale, adresse de messagerie électronique, numéros de téléphone et l’ensemble des données de connexion telles que les adresses IP de connexion lors de la création du compte, et à l’occasion de toutes les connexions, comprenant les heures et dates de connexion,
-ordonner aux défenderesses de communiquer à un huissier à désigner, dans un délai de 8 jours puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard pendant 60 jours :
*les messages adressés à tous les utilisateurs d’Instagram par le compte Y. entre août 2020 et la date de l’ordonnance à intervenir,
-dire que l’huissier conservera les messages sous scellés jusqu’à procédure de tri au contradictoire des parties, en permettant à l’huissier de ne communiquer que les messages nommant ou concernant Monsieur X.,
-condamner tout contestant à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

A cette même audience, la société Facebook Ireland Limited et la société SARL Facebook France comparaissent représentées par leurs conseils, elles demandent au juge des référés de :

Pour la SARL Facebook France :

-la mettre hors de cause,
-rejeter les demandes dirigées contre elle,
-condamner Monsieur X. à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Pour la société Facebook Ireland Limited :

-se déclarer incompétent pour ordonner les mesures provisoires demandées devant être exécutées hors du territoire français,
-subsidiairement dire n’y avoir lieu à référé,
-plus subsidiairement, limiter la demande aux données de communication sous les réserves mentionnées à ses écritures et rejeter toute autre demande,
-débouter Monsieur X. de sa demande d’astreinte,
-rejeter la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner Monsieur X. à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Il est renvoyé aux dernières écritures des parties et à leurs observations à l’audience pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qui y sont contenus.

La décision a été mise en délibéré au 14 janvier 2022.


DISCUSSION

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Il sera rappelé que sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, l’existence du droit invoqué n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès. Les moyens de défense tendant à l’irrecevabilité de la demande ou à l’incompétence de la juridiction seront donc étudiés en tant que moyens permettant d’écarter les conditions prévues par l’article 145 du code de procédure civile.

Sur le règlement 1215/2012/UE

Selon l’article 35 du règlement 1215/2012/UE « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ».

Les messages litigieux sont écrits à destination de lecteurs français en lien, selon Monsieur X., avec sa profession. La Facebook Ireland Limited, si elle a son siège social en Irlande, fournit son service sur le territoire français.

Contrairement au moyen de défense soulevé par la société Facebook Ireland, un lien de rattachement réel existe entre le procès-futur envisagé par Monsieur X. contre l’auteur des messages, dont il dénonce le contenu, et le territoire français.

Les dispositions du règlement 1215/2012/UE ne sont donc pas méconnues et le peuvent écarter les conditions d’application de l’article 145 du code de procédure civile.

Sur la communication demandée

Constituent des mesures légalement admissibles au sens de l’article 145 précité les mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure demandée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

A titre liminaire, la société SARL Facebook France est mise hors de cause comme n’exploitant pas la plate-forme dont sont issues les données dont il est demandée communication.

En l’espèce, Monsieur X. est photographe.

Une attestation d’un témoin, Monsieur Z., indique qu’il a reçu sur son compte Instagram une communication privée provenant du compte « Y. » lui indiquant que Monsieur X. est un « agresseur » et un « violeur ».

Plusieurs captures d’écran, réputées adressées à des tiers connus de Monsieur X., dont une femme qu’il a photographié, décrivent des messages similaires mettant en cause le demandeur comme « violeur » et « agresseur » dans un langage ordurier.

Ces circonstances caractérisent le motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile. Le procès futur en raison du dommage causé à la réputation de Monsieur X., qui fournit des justificatifs médicaux indiquant souffrir de la situation,
est identifié.

S’agissant des données d’identification

Il n’est pas contesté que la société Facebook Ireland Limited exploite la plate-forme Instagram dont est issu le compte litigieux.

Il n’est pas non plus contesté qu’elle dispose des données d’identification demandées qui sont, au surplus, légalement recueillies en application du II de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique « LCEN », de l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques et du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021.

La communication demandée est proportionnées aux intérêts antinomiques en présence, le droit de la preuve de Monsieur X., pour entreprendre le procès qu’il envisage, devant prévaloir sur l’anonymat du compte litigieux. La mesure demandées est donc légalement admissible.

La communication sera donc ordonnée.

Les conditions de fixation d’une astreinte ne sont pas réunies.

S’agissant des correspondances privées

La société Facebook Ireland Limited soulève à bon droit que l’interception de correspondances électroniques privées méconnait l’article 226-15 du code pénal et le VI de l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques.
La mesure n’est donc pas légalement admissible. Subsidiairement, Monsieur X. demande que la communication soit ordonnée sur le fondement de l’article 834 du code de procédure civile.

Or, tant la demande que les obligations qui la fondent sont sérieusement contestables, car illégales, nonobstant l’urgence alléguée.

Il est donc dit n’y avoir lieu à référé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

La société Facebook Ireland Limited, partie perdante, est condamnée aux dépens.

L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile, alors que la société Facebook Ireland Limited ne peut communiquer les données demandées sans décision juridictionnelle.

Monsieur X. n’étant ni partie perdante, si celle condamnée aux dépens, les conditions de l’article 700 du code de procédure civile ne sont pas réunies s’agissant des demandes dirigées contre lui.


DECISION

Nous, juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, par ordonnance publique, contradictoire et en premier ressort,

Mettons hors de cause la société SARL Facebook France,

Renvoyons les parties à se pourvoir au fond ainsi qu’elles en aviseront, mais dès à présent par provision :

Ordonnons à la société de droit irlandais Facebook Ireland Limited de communiquer à Monsieur X., dans un délai de 15 jours au maximum à compter de la présente ordonnance, l’ensemble des données qu’elle détient de nature à permettre l’identification du titulaire du compte Instagram « Y. » accessible à l’ adresse « https://www.instagram.com/Y. et en particulier :
-les types de protocoles utilisés et l’adresse IP utilisée pour la connexion au service lors de l’inscription et les connexions ultérieures,
-l’identifiant de connexion,
-les nom et prénom ou la raison sociale du titulaire du compte,
-les pseudonymes utilisés,
-les adresses postale et électonique, numéros de téléphones et comptes associés communiqués lors de la souscription,

Disons n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte,

Disons n’y avoir lieu à référé sur le surplus,

Rejetons les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons la société de droit irlandais Facebook Ireland Limited aux dépens.

 

Le Tribunal :  Malik Chapuis (juge), Minas Makris (greffier)

Avocats : Me Olivier Iteanu, Me Bertrand Liard

Source : Legalis.net

Lire notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Bertrand Liard est également intervenu(e) dans les 9 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Olivier Iteanu est également intervenu(e) dans les 142 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Malik Chapuis est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Minas Makris est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.