Jurisprudence : Marques
Cour d’appel de Versailles 12ème chambre, section 1 Arrêt du 22 novembre 2001
SA Zebank / Sté de droit canadien 1 2 3 Multimédia Canada Ltd et SA 1 2 3 Multimédia
caractère distinctif de la marque - contrefaçon de marque - dénigrement - nom de domaine - parasitisme - risque de confusion
La cour d’appel de Versailles, 12e chambre, section 1, a rendu l’arrêt contradictoire suivant, prononcé en audience publique, la cause ayant été débattue à l’audience publique du 18 octobre 2001.
Faits et procédure
Constituée par acte du 30 septembre 1999, la société anonyme IFP, devenue Zebank le 17 mai 2000, dépend du groupe LVMH. Elle est un établissement bancaire agréé, proposant des services bancaires et boursiers en ligne, exclusivement sur le réseau internet.
Elle avait déposé, dès le 19 octobre 1999, la marque “Ze Bank” pour désigner divers produits et services relevant des classes 9, 35, 36, 38 et 42, relevant des services :
– couvrant directement ses prestations (“assurances, affaires financières, affaires monétaires, affaires bancaires, investissements de capitaux (…), services de courtage sur les marchés financiers, placements de fonds, (…)”,
– ou plus particulièrement en rapport avec le support utilisé (“communications par terminaux d’ordinateurs, (…), messagerie électronique, (…), communication (transmission) sur tous supports multimédia, dont l’internet (…)”).
Elle a fait suivre ce dépôt, dans la période contemporaine, de plusieurs autres portant sur des signes dérivés du radical “ze”, lui-même déposé à titre isolé le 23 novembre 1999 pour les mêmes produits et services, et parallèlement réservé les noms de domaine correspondants, pour des sites internet.
Elle s’est émue de la réservation le 23 décembre 1999, par la société de droit canadien 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd, comptant au nombre des filiales étrangères de la société française 1 2 3 Multimédia, des noms de domaines “zebanque.com” et “zebourse.com”.
Le 3 février 2000, elle a mis en demeure la société 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd d’avoir à lui transférer sans délai ni contrepartie les noms de domaine litigieux. Non seulement ses démarches sont restées sans suite, mais encore –selon ses affirmations – elles ont été suivies de l’ouverture d’un :
– “zebanque.com”, réduit à une page d’accueil présentant l’image d’un immeuble de style néoclassique (évocatrice d’une banque) se combinant à celle d’un aspirateur, allusion dénigrante à la volonté supposée de cette banque d’appréhender l’argent du public ;
– “zebourse.com”, faisant apparaître l’image d’un gratte-ciel, d’une fenêtre duquel tombe un individu, notamment accompagné de la légende “Tendance à la baisse”, se référant de manière évidente aux cours de Bourse et par là même à ses activités.
La société Zebank a alors fait assigner les sociétés 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd et 1 2 3 Multimédia en contrefaçon de ses marques “Zebank” et “Ze”, en ce qu’elles visent notamment “les services de communication par terminaux d’ordinateur et les services de communication sur l’internet en classe 38”, agissements parasitaires et concurrence déloyale.
Les intéressées se sont opposées à ses prétentions, en contestant tout d’abord la validité de la marque “Ze Bank”, à leur sens dépourvue de caractère distinctif pour les services d’assurance et de banque.
C’est dans ces conditions que, par jugement du 2 avril 2001, le tribunal de grande instance de Nanterre :
– a notamment retenu :
“Si le signe est constitué du terme “ bank ”, il est également associé au radical “ ze ” ; ce dernier confère à la marque une fonction distinctive, pour les produits et services visés au dépôt. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’annuler cette marque (…)
les signes en présence ne sont pas identiques ; les noms de domaine “zebourse” et “zebanque” ne reproduisent donc pas les marques “Zebank” et “Ze” ; dès lors, l’action de la société Zebank ne peut être fondée sur les dispositions de l’article L. 713-2 qui visent le seul cas de reproduction de la marque.
Ainsi, la société Zebank ne pourrait reprocher aux sociétés défenderesses qu’une imitation illicite au sens de l’article 713-3 du code de la propriété intellectuelle.
Cet article suppose qu’il existe un risque de confusion entre la marque et le signe imitant, et ce pour des produits et services identiques ou similaires à ceux visés au dépôt.
Il est certain que la société Zebank a protégé ses marques dans la classe 38 liée à internet ; néanmoins, pour apprécier le risque de confusion entre le site de la société Zebank et les sites ouverts par la société 1 2 3 Multimédia Canadia, il convient d’examiner leur contenu.
En l’occurrence, les sites “zebanque.com” et “zebourse.com” constituent un lieu d’exposition d’œuvres artistiques ; leur contenu ne génère aucun risque de confusion avec le site de la société Zebank qui est consacré à une activité bancaire en ligne.
En conséquence, il ne peut être admis que les noms de domaine et les sites en cause constituent la contrefaçon par imitation illicite des marques de la société Zebank (…).
La société Zebank a pour objet le développement d’une activité bancaire sur internet ; les sociétés défenderesses ont pour activité le multimédia ; il n’y a aucune concurrence entre ses sociétés ; aucun acte de concurrence déloyale n’est démontré.
Si le site “zebanque.com” fait apparaître un immeuble surmonté d’un aspirateur, si le site “zebourse.com” montre un gratte-ciel avec un personnage tombant des fenêtres, à aucun endroit de ces sites le nom de la société Zebank n’est cité (…)”,
– pour se prononcer comme suit :
“Déboute la société Zebank (…)
Dit n’y avoir lieu (…) à (…) application de l’article 700 du Ncpc (…)”.
Appelante de ce jugement, la société Zebank (conclusions récapitulatives du 25 septembre 2001) fait notamment valoir que la réservation et l’utilisation des noms de domaine litigieux constituent la contrefaçon, par reproduction ou tout au moins imitation, des marques antérieures “Zebank” et « Ze » désignant notamment les services de “communications par terminaux d’ordinateurs”.
En l’état de son droit de propriété sur les marques précitées, pour lesdits services, les premiers juges auraient effectué à tort une comparaison du contenu des sites respectifs des parties, de surcroît sur la base d’un constat d’huissier dont la teneur serait des plus contestable.
S’ajouteraient à l’atteinte au droit de marque, des agissements distincts de parasitisme et de dénigrement. Il serait notamment manifeste que les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd ont “réservé les noms de domaine litigieux, soit pour les monnayer directement auprès de la société Zebank, ou auprès de l’un des concurrents de cette dernière, soit pour accroître par des moyens détournés la fréquentation de ses propres sites”.
Ces agissements auraient été d’autant plus préjudiciables à la société Zebank que la société 1 2 3 Multimédia développe une grande partie de son activité dans le domaine de la pornographie : “hot.fr”, “sexybelle.fr”, “123love.fr”, sans parler d’une autre adresse “que la décence interdit au rédacteur des… conclusions de citer”.
La cour devrait donc infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :
– dire et juger qu’en réservant le nom de domaine internet “zebanque.com” et en créant un site internet à partir de ce nom, les sociétés 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd et 1 2 3 Multimédia se sont rendues coupables de contrefaçon de la marque “Ze Bank” n° 99 818 443,
– dire et juger qu’en réservant le nom de domaine “zebourse.com” et en créant un site internet à partir de ce nom, les sociétés 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd et 1 2 3 Multimédia se sont également rendues coupables de contrefaçon des marques “Ze Bank” n° 99 818 443 et “ ZE ” n° 99 826 341,
– dire que les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia se sont en outre rendues responsables d’actes de parasitisme et de dénigrement au préjudice de la société Ze Bank,
En conséquence,
– ordonner aux sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia de procéder dans les 8 jours de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard passé ce délai, aux formalités nécessaires au transfert des noms de domaine (…),
– ordonner aux sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia de cesser toute utilisation des sites “zebanque” et “zebourse” à quelque titre que ce soit dans les 8 jours de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard passé ce délai,
– condamner solidairement les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia à payer à la société Ze Bank :
. la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts au titre de la contrefaçon des marques de la société Ze Bank,
. la somme de 300 000 F au titre des actes de parasitisme et de dénigrement,
– ordonner la publication aux frais avancés des sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia, dans trois journaux au choix de la société Ze Bank, du communiqué suivant (…) [suit l’énoncé proposé],
– ordonner la diffusion par les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia du communiqué suivant (…) [suit l’énoncé également proposé],
– condamner solidairement les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia à payer à la société Ze Bank la somme de 50 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile (…)
Pour les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd (conclusions du 12 septembre 2001), force serait d’abord de rappeler qu’elles ne se sont en rien placées dans le sillage de l’appelante en employant le radical “ze”. En effet, la première justifierait avoir déposé la marque “Zemag” dès le milieu de l’année 1998, pour une publication destinée à la jeunesse, effectivement éditée à la même époque.
Cette édition aurait été ensuite interrompue. Mais le concept aurait été repris dans des sites internet dits “zebanque.com” et “zebourse.com” censés constituer des lieux d’exposition d’œuvres artistiques publiées “ à compte d’auteur ”. Là serait l’unique raison pour laquelle la société 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd a légitimement fait enregistrer les noms de domaine correspondants.
Les activités respectives des parties seraient sans rapport et les noms de domaine litigieux hors du champ des marques invoquées. Il serait “manifeste que la société Zebank perd son sang froid” en se lançant, pour tenter d’esquiver ces faits, dans des insinuations mensongères sur la moralité de ses adversaires, feignant notamment de confondre l’activité d’éditeur d’un service (responsable du contenu) et de prestataire technique (hébergeur).
Les premiers juges auraient fait une exacte appréciation des faits de la cause. En réalité, leur décision ne serait critiquable qu’en ce qu’ils n’ont pas prononcé la nullité de la marque “Zebank”, dénuée de caractère distinctif, pour tout ce qui concerne l’assurance et la banque. Il appartiendrait en conséquence à la cour de :
S’agissant de la contrefaçon alléguée de la marque “Zebank”
– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté ma demande de nullité (…),
– prononcer en conséquence la nullité (…),
– subsidiairement, dire et juger que les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Ltd n’ont pas commis d’actes de contrefaçon (…)
S’agissant de la contrefaçon alléguée des marques à radical “ze”
– dire et juger que les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd n’ont pas commis d’actes de contrefaçon de la marque “Ze” (…) et des autres marques “Ze” visées par l’appelante,
– dire et juger que les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd n’ont commis aucun acte de concurrence déloyale ou de parasitisme,
– en conséquence, débouter la société Zebank, anciennement IFP, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– très subsidiairement, mettre hors de cause la société 1 2 3 Multimédia, comme n’étant ni titulaire des noms de domaine en litige, ni exploitant des sites internet en litige,
– condamner la société Zebank (…) à verser aux sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd une somme de 50 000 F au titre de l’article 700 du Ncpc (…).
Il est renvoyé au jugement entrepris et aux conclusions précitées, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
Sur ce, la cour
* Sur les marques invoquées
Considérant que l’appelante, la société IFP, devenue Zebank, est un établissement bancaire agréé proposant ses services bancaires et boursiers en ligne, exclusivement sur le réseau internet ;
Qu’elle est propriétaire, pour les avoir respectivement déposées les 19 octobre et 23 novembre 1999, puis en avoir obtenu l’enregistrement par l’Institut national de la propriété industrielle, des marques “Zebank” et “Ze” pour désigner divers produits et services relevant des classes 9, 35, 36, 38 et 42, dont des services :
– correspondant à ses prestations :
(…) assurances, affaires financières, affaires monétaires, affaires bancaires, affaires immobilières, analyse financière, investissements de capitaux, consultations en matière financière, services d’épargne, estimations financières, information financière, services de consultation en matière de placements financiers, placements de fonds, services de courtage sur les marchés financiers, la gestion de portefeuille de valeurs mobilières, services de constitutions, placements de fonds, gérance de fortune (…)
– ou en rapport avec le support utilisé :
(…) communication par terminaux d’ordinateurs (…) messagerie électronique ; services de transmission d’informations, en particulier routage d’ordres dans le domaine financier, par voie télématique, communication (transmission) sur tous supports multimédia, dont l’internet, en particulier routage d’ordres dans le domaine financier (…).
* Sur les noms de domaine et sites litigieux
Considérant que les intimées, la société 1 2 3 Multimédia, ayant son siège à Toulouse, et sa filiale canadienne 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd sont spécialisées dans l’exploitation de supports médiatiques et le conseil en communication ;
Que la seconde (société 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd) a fait enregistrer le 23 décembre 1999, par l’intermédiaire de la société Oléane (groupe France Télécom), les noms de domaine “zebanque.com” et “zebourse.com” ; qu’elle a ensuite ouvert un site internet sous chacun de ceux-ci ;
Que cette ouverture s’est limitée, du moins dans un premier temps, à un contenu des plus restreint, voulu semble-t-il ludique (cf. constat d’huissier du 14 décembre 2000) ; qu’ainsi :
– le site “zebanque.com” ne comportait qu’une page d’accueil ; y apparaissait en gros plan le corps d’un aspirateur à usage domestique, dont le bas se confondait avec un immeuble de style néoclassique, évocateur d’un établissement bancaire ou boursier, “vraisemblablement Wall Street” (selon le propre huissier des sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd – constat du 7 mars 2001) ; après s’être amplement déployé au sommet et sur le côté, le tuyau de l’appareil disparaissait à l’arrière avant de ressortir par l’entrée principale de l’établissement, partie aspirante elle-même déployée à l’avant de la façade ;
– “zebourse.com” dont la page d’accueil mettait en évidence, en son centre, l’interrogation “Zebourse ?” suivie en petits caractères de l’indication “ce site n’est optimisé pour aucun navigateur en particulier (…)”, au clic sur “Zebourse ?”, auquel l’internaute était implicitement invité, apparaissait une fenêtre affichant la reproduction au sommet d’un gratte-ciel, surmonté de la mention “[Zebourse] Arrrgghhh !” ; un nouveau clic conduisait à une animation portant sur la chute d’un homme le long de la façade, dont l’inexorable descente était émaillée de commentaires, tels que : “Tendance à la baisse ? (…) Alors c’est ça Zebourse ? ? (…) Ça ne finira donc jamais ? ; Fallait pas y aller !” ;
* Sur la validité des marques
Considérant que la société Zebank a interjeté appel du jugement entrepris qui l’a déboutée de son action en contrefaçon de marques, parasitisme et concurrence déloyale, engagée à l’encontre des sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd ;
Que pour s’opposer à ses prétentions, ces dernières forment appel incident ; qu’elles reprennent leur demande reconventionnelle en nullité partielle de la marque “Zebank”, vainement présentée en première instance ;
Qu’elles font valoir qu’“appliquée au secteur de l’assurance et de la banque, la marque “Zebank” constitue la désignation nécessaire et usuelle du service bancaire” ; qu’elle est “également un signe descriptif au sens de l’article L. 711-1 b du CPI” ; qu’il serait “ainsi évident que les concurrents de l’appelante ont eux-mêmes besoin d’un tel signe pour désigner leurs services” ;
Que pour contester la recevabilité de leur demande, la société Zebank rétorque que “cette marque (…) ne leur est pas opposée pour les services bancaires, mais pour les services de communication par ordinateur, de messagerie électronique et communication sur tous supports”, ce qui pouvait effectivement se comprendre de ses précédentes écritures ;
Que, de fait, l’intérêt à agir des intimées, surtout par voie reconventionnelle, est des plus douteux ; qu’en tout cas, c’est à bon droit que les premiers juges les ont déboutées de leur demande d’annulation, alors que :
– il s’attache à l’enregistrement d’une marque une présomption de validité ; ne sauraient suffire à l’écarter les simples affirmations auxquelles se limitent les intéressées ;
– comme exactement observé dans le jugement, le “radical “ze” confère à la marque une fonction distinctive pour les produits et services visés au dépôt” ; en effet, ce radical est sans signification en français ; son dépôt isolé, pour les mêmes produits et services, n’est d’ailleurs pas contesté ;
* Sur la contrefaçon de la marque
Considérant que l’enregistrement d’une marque “confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque, pour les produits et services qu’il a désignés” (art. L. 713-1 du code précité) ; que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, et constitutifs de contrefaçon :
– art. L. 713-2 : dans tous les cas, “a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque (…) pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement (…)” ;
– art. L. 713-3 : “s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public : a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque (…) pour des produits similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ; b) l’imitation d’une marque à l’usage d’une marque limitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement” ;
Qu’ainsi que le souligne la société Zebank, l’étendue de son droit de propriété – et par là même les éventuelles atteintes qui y sont portées – doit au premier chef s’apprécier par référence, non pas à l’usage qu’elle fait de ses marques, mais aux produits et services pour lesquels celles-ci ont été enregistrées ;
Que, précisément, pour ce motif, la contrefaçon ne peut être en l’espèce retenue, dès lors que l’intéressée déclare n’opposer ses marques qu’en ce qu’elles couvrent les “services de communication par l’ordinateur, de messagerie électronique et communication sur tous supports” (tel internet) et que :
– ces services s’entendent de ceux (généralement fournis par un prestataire technique) ayant un tel objet ; ils ne sauraient se confondre avec les multiples services pour la fourniture desquels les communications par ordinateur, messagerie électronique ou tout autre support (tel internet) ne constituent qu’un moyen ;
– l’enregistrement d’un nom de domaine est en lui-même neutre, de même que l’est le support que constitue un site internet ; en l’espèce, il n’est pas établi que les enregistrements et sites litigieux concernent les services pour lesquels la protection des marques est revendiquée, voire des services similaires ; en tout cas, la société Zebank n’en fait pas la démonstration qui lui incombe ;
* Sur les particularités de l’espèce
Considérant qu’il n’en est pas moins vrai que les deux noms de domaine et sites précités conduisent inexorablement l’internaute à un rapprochement, voire une confusion, avec le site “zebank.com” à partir duquel la société Zebank propose ses services bancaires e boursiers en ligne ; qu’en effet :
– ces deux noms se limitent, comme “zebank”, à deux syllabes ; la première “ze”, soit la plus importante (s’agissant de la syllabe d’attaque, de surcroît seule distinctive), est strictement la même ; s’agissant de la seconde syllabe, le changement est sans incidence pour le premier nom de domaine (substitution du terme “banque” à son équivalent anglais “bank”, orthographiquement proche et compris en France), d’une incidence faible pour le second nom de domaine (substitution du terme “bourse” à celui de “banque”), compte tenu de la connexité, voire imbrication des deux activités ;
– ces deux sites traitent directement de l’activité bancaire ou boursière (qu’évoquent d’ailleurs directement les noms de domaine correspondants), pour la tourner en dérision et mettre l’internaute en garde contre ses risques ; le site “zebanque.com” induisant l’idée que la seule préoccupation des banques est d’aspirer goulûment l’argent du public, le site “zebourse.com”, l’idée d’une inexorable chute des cours de Bourse ;
Qu’à ces circonstances, s’ajoutent les conditions dans lesquelles les noms de domaine litigieux ont été adoptés ; qu’en effet, leur enregistrement est intervenu alors que, depuis plus d’un mois :
– la presse s’était largement fait écho du projet du président du groupe LVMH, Bernard Arnault, de créer une banque entièrement en ligne, alors baptisée Ze Project ;
– la société créée à cet effet (société IFP, devenue Zebank en mai 2000) avait procédé au dépôt, non seulement des deux marques précitées les 19 octobre et 23 novembre 1999, mais de dix-sept autres marques construites sur le même radical “ze” (Ze Company, Ze Job, Ze Project, …) ;
* Sur les actes de parasitisme et de dénigrement
Considérant que les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd avaient nécessairement connaissance, lorsque la seconde a réservé les noms de domaine et ouvert les sites litigieux, des projets et dépôts de marque précités qui avaient été publiés ou en tout cas rendus accessibles sur banques de données, et qui n’ont pu échapper à leur attention lors des recherches d’antériorités qu’elles n’ont pas manqué d’effectuer ;
Qu’elles n’ont manifestement eu d’autre but que de chercher à en monnayer le transfert à la société Zebank, voire à profiter indûment des importants investissements, notamment en publicité, consentis par celle-ci, pour accroître la fréquentation de leurs propres sites ;
Que c’est vainement qu’elles invoquent :
– le dépôt de la marque “Zemag”, précédemment par la société 1 2 3 Multimédia dans le courant de l’année 1998, pour désigner une publication destinée à la jeunesse, qui a eu à la même époque une existence éphémère : le radical commun “ze” ne leur donnait aucune vocation à retenir les noms de domaine litigieux, même s’il en a suscité l’idée ; la publication invoquée était sans rapport avec les sites qui ne peuvent être regardés comme s’étant bornés à en reprendre le concept ;
– la vocation des deux sites à “constituer des lieux d’exposition d’œuvres artistiques publiés à compte d’auteur” : les noms choisis correspondent déjà bien peu à cette prétendue vocation ; cette dernière, de surcroît, n’a été que tardivement imaginée et une maquette sommaire confectionnée en interne pour tenter d’en accréditer la réalité (cf. constat d’huissier du 7 mars 2001) sont de pure circonstance, les vagues “autorisations d’enregistrement et de publication d’images et de sons” limitées à trois personnes de la banlieue toulousaine ;
– ce qui ressortirait de toute manière à la responsabilité de la seule société 1 2 3 Multimédia Canadia et justifierait la mise hors de cause de sa société mère 1 2 3 Multimédia : leurs propres explications (concept du magazine de la société mère, lieu de confection de la maquette invoquée, bénéficiaire des autorisations précitées, …) confirment au contraire le rôle déterminant de la société 1 2 3 Multimédia dont la filiale canadienne a surtout été la complice ;
* Sur les demandes des parties
Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé, mais seulement en ce qu’après avoir rejeté la demande reconventionnelle en nullité partielle de marque Zebank formée par les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd, il a débouté la société Zebank de son action en contrefaçon dirigée contre les intéressées ;
Qu’il sera réformé pour le surplus ; qu’en effet, il apparaît qu’en réservant les noms de domaine “zebanque.com” et “zebourse.com”, puis ouvrant les sites internet correspondant, dans les conditions ci-dessus rappelées, les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd ont commis, au préjudice de la société Zebank, des actes de parasitisme et de dénigrement, engageant leur responsabilité civile sur le terrain de l’article 1382 du code civil ;
Que ces fautes justifient leur condamnation in solidum à des dommages-intérêts qui, compte tenu de l’ensemble des circonstances particulières à l’espèce, et notamment de l’ampleur et de la durée du trouble commercial subi par la société Zebank, seront fixés à 200 000 F ;
Que seront en outre prononcées les mesures d’interdiction, incluant la radiation des enregistrements des noms de domaine litigieux et de publicité prévues au dispositif ;
Que la partie qui succombe doit supporter les dépens ; que ni l’équité, ni la situation économique des parties ne justifient qu’il soit fait exception à l’application de l’article 700 du Ncpc afférent à la charge des frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
. confirme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu’il a débouté la société Zebank de son action en contrefaçon et les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd de leur demande reconventionnelle en nullité de la marque Zebank,
. le réforme pour le surplus,
. dit qu’en réservant les noms de domaine “zebanque.com” et “zebourse.com” et en ouvrant les sites internet correspondants dans les conditions rappelées au présent arrêt, les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd ont commis des actes de parasitisme et de dénigrement, engageant leur responsabilité civile à l’égard de la société Zebank,
. les condamne in solidum à payer à la société Zebank une somme de 200 000 F, à titre de dommages-intérêts,
. leur enjoint d’avoir, dans un délai de huit jours à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard, à laquelle elles seront in solidum tenues à :
* cesser d’utiliser les sites précités et justifier, auprès de la société Zebank, des diligences effectuées en vue de la radiation des noms de domaine correspondants,
* faire apparaître, pendant un mois, le texte du dispositif du présent arrêt, après rappel des références de ce dernier, sur la première page de leurs sites internet, accessibles à l’adresse “123multimedia.com” et “tchatche.com”,
. autorise la société Zebank à faire publier le présent arrêt, intégralement ou par extrait, dans trois publications de son choix, aux frais des sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd, sans que le coût de chaque insertion excède 30 000 F HT,
. condamne les sociétés 1 2 3 Multimédia et 1 2 3 Multimédia Canadia Ltd à payer à la société Zebank une indemnité de 40 000 F au titre de l’article 700 du Ncpc,
. les condamne aux dépens de première instance et d’appel qui, pour les seconds, pourront être recouvrés par la SCP Bommart-Minault, avoué, dans les conditions prévues à l’article 699 du Ncpc.
La cour : Mme Françoise Canivet (président), MM. Alain Raffejeaud et Jacques Dragne (conseillers).
Avocat : Me Patrice de Cande et Olivier Itéanu.
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.