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Jurisprudence : Marques

vendredi 07 septembre 2001
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Tribunal de Grande Instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Jugement du 7 septembre 2001

Comité interprofessionnel du vin de Champagne / Rockynet Com Inc, Saber Entreprises Inc.

marque - radiation du nom de domaine

Les faits

Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, ci-après CIVC, dont l’un des objets est de protéger l’appellation d’origine contrôlée « Champagne » eut connaissance que la société « Saber Entreprises Incorporated », ci-après Saber, avait déposé aux Etats Unis auprès de l’internic, le nom de domaine « Champ-pagne.com », et commercialisait par ce moyen une eau de source pour animaux de compagnie, dénommée « Champ-pagne ».

Estimant que de tels faits constituent une appropriation, illicite et un affaiblissement de la notoriété de l’appellation d’origine Champagne, le CIVC a fait assigner par acte du 13 juin 2000 non seulement la société Saber mais également la société Rockynet.com Incorporated qu’elle considère être l’hébergeur du site litigieux, pour voir ordonner à la société Saber de procéder à la radiation du nom de domaine www.champagne.com, prononcer les mesures d’interdiction et de publication d’usage, et condamner la société Rockynet.com Incorporated à lui verser la somme de 300 000 F en réparation de son préjudice ; le tout avec exécution provisoire.

La société Saber a constitué avocat mais n’a pas conclu.

La société Rockynet.com Incorporated s’en rapporte à justice pour ce qui concerne l’atteinte à l’appellation d’origine. En revanche, elle soutient qu’elle n’est pas l’hébergeur du site incriminé et que la preuve contraire n’est nullement rapportée par le procès verbal dressé le 19 avril 2000 à la demande du CIVC, ni par aucune autre pièce. Elle reconnaît en revanche être un fournisseur d’accès démuni cependant de moyens de contrôle sur la nature des informations qui transitent par ses lignes.

Elle sollicite sa mise hors de cause et l’allocation d’une somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts.

Le CIVC a répliqué en soulignant que la société Rockynet.com Incorporated a assuré à la fois des prestations de fournisseur d’accès et d’hébergeur et produit aux débats une lettre du centre d’expertise « Celog » qui a assisté l’huissier en ses opérations et qui confirme la qualité d’hébergeur du Rockynet.com Incorporated.
La discussion

* Sur l’atteinte portée à l’appellation d’origine « Champagne » et la responsabilité de la société Saber

Attendu qu’aux termes de l’article L 115.5 alinéa 4 du code de la consommation « le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant, ne peut être employé pour aucun produit similaire ni pour aucun autre produit ou service lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’appellation d’origine » ;

Attendu en l’espèce que l’appropriation de l’appellation « Champagne » pour déposer le nom de domaine « Champ-pagne » et son usage pour nommer un site et une bouteille d’eau, dite de source, pour chien n’est pas contestable, ni contestée d’ailleurs, la société Rockynet.com Incorporated déclarant s’en rapporter sur ce point ;

Attendu en effet que la dénomination litigieuse réalise une reproduction quasi servile de l’appellation « Champagne », le dédoublement de la lettre « P » et la division de ce terme en « Champ » suivi de « Pagne » n’ayant aucune incidence phonétique ; qu’intellectuellement, le rattachement de l’eau dénommée « Champ-pagne » à la notoriété acquise par le vin de Champagne comme vin des fêtes et des célébrations est explicite puisque la commercialisation de cette eau pour chien est accompagnée de slogans tels que : « Votre meilleur ami mérite ce qu’il y a de meilleur dans la vie. Pour fêter les vacances, l’anniversaire de votre chien … » ;

Attendu qu’il suit que le nom de domaine et la dénomination « Champ-pagne » constituent une appropriation illicite de l’appellation « Champagne » et sont à l’évidence de nature à détourner et à affaiblir la notoriété de cette appellation ;

Attendu qu’il ressort du procès-verbal dressé le 19 avril 2000, par Me D., huissier, que la société Saber est titulaire du nom de domaine « Champ-pagne.com » et commercialise sur le site ainsi dénommé des bouteilles d’eau de source pour chien sous l’appellation « Champ-pagne » ;

Attendu que la société Saber a donc engagé sa responsabilité et sera condamnée aux mesures réparatrices ci-après détaillées.

* Sur la responsabilité de la société Rockynet.com

Attendu que la responsabilité de cette dernière est recherchée tant en sa qualité d’hébergeur du site précité qu’en sa qualité de fournisseur d’accès.

Attendu cependant que la loi du 1er août 2000 dont il n’est pas contesté qu’elle s’applique aux faits de l’espèce vient préciser les conditions d’engagement de la responsabilité de l’hébergeur du fait du contenu des services qu’il héberge, mais ne prévoit nullement que celle du simple fournisseur d’accès puisse être également recherchée de ce même chef.

Attendu que les parties sont contraires sur la prestation fournie par Rockynet.com.

Attendu que sans avoir à les départager sur la qualité de la défenderesse d’hébergeur ou de simple fournisseur d’accès, il convient de relever qu’aux termes de la loi n° 2000-719 du 1er août 2000, la responsabilité de l’hébergeur du fait du contenu des services qu’il héberge ne peut être recherchée que si, ayant été saisi par les autorités judiciaires, celui-ci n’ a pas agi promptement pour empêcher l’accès au contenu desdits services.

Attendu que cette procédure n’a pas été suivie.

Attendu que la société Rockynet.com soutient sans être démentie ne plus apparaître sur les tableaux de traçage du site « Champ-page » et ce en quelque qualité que ce soit.

Attendu que les conditions préalables à l’engagement de la responsabilité de la société Rockynet.com ne sont donc pas réunies ; que la demanderesse a d’ailleurs dans ses dernières conclusions abandonné toute demande de condamnation à l’encontre de la société Rockynet.com.

* Sur la demande reconventionnelle

Attendu que l’appel en la cause de la société Rockynet.com apparaît nullement abusif en raison de l’imprécision des informations fournies sur sa prestation.

* Sur les mesures réparatrices

Attendu qu’il sera fait droit, dans les termes du dispositif ci-après, aux mesures de radiation, d’interdiction et de publication sollicitées ; qu’en revanche aucune mesure ne peut être prononcée à l’égard de NSI Inc qui n’est pas dans la cause.

Attendu que l’atteinte portée à l’appellation d’origine et le détournement de sa notoriété réalisés par le choix du nom de domaine et par la commercialisation d’une eau pour chien sous la dénomination « Champ-pagne » justifient de condamner la société Saber Enterprises à verser au CIVC la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.

* Sur l’exécution provisoire et l’article 700 du ncpc

Attendu que l’exécution provisoire accompagnera les mesures de radiation et d’interdiction ;

Qu’il n’est pas inéquitable de condamner la société Saber à verser la somme de 18 000 F du chef de l’article 700 du ncpc ;

Attendu que le CIVC devra verser en revanche la même somme à la société Rockynet.com.
La décision

Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,

. Dit qu’en faisant enregistrer le nom de domaine « Champ-pagne.com », en ouvrant un site internet sous ce nom et en utilisant la dénomination « champ-pagne » pour désigner une eau pour chien et animaux de compagnie, la société Saber Enterprises a détourné à son profit et a affaibli la notoriété de l’appellation d’origine « Champagne ».

En conséquence,

. lui ordonne de procéder à la radiation de ce nom de domaine sous astreinte de 10 000 F par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision.

. Lui interdit tout usage de la dénomination « Champ-pagne » notamment pour désigner une eau destinée aux animaux domestiques, sous astreinte de 5000 F par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision.

. Dit que le tribunal se réserve la connaissance des éventuelles demandes relatives à la liquidation desdites astreintes.

. Ordonne l’exécution provisoire de ces mesures.

. Condamne la société Saber Interprises à verser au CIVC la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.

. Rejette toute autre demande.

. Autorise le CIVC à faire publier le présent dispositif dans trois revues ou quotidiens de son choix, sans que la part du coût de ces insertions supportée par la société défenderesse dépasse la somme globale de 60 000 F.

. Condamne la société Saber Enterprises à verser la somme de 18 000 F du chef de l’article 700 du ncpc et à supporter les entiers dépens.

. Condamne le CIVC à verser à la société Rockynet.com la somme de 18 000 F du même chef.

Le tribunal : M. Girardet (vice président), Mme Saint Schroeder (premier juge), Mme Lefevre (juge)

Avocat : Me Escande, Me Ullmann, SCP Gilbey De Haas

 
 

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