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Jurisprudence : Marques

vendredi 04 juillet 2003
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Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème chambre, 2ème section, Jugement du 4 juillet 2003

Dial / Phenix Multimedia

confusion - contrefaçon de marque - marques - nom de domaine

Les faits et procédure

La société Dial expose être titulaire de la marque Dial n°1588536 déposée le 30 décembre 1987, puis renouvelée en 1997, pour désigner certains produits et services compris dans les classes 9, 35 et 41, à savoir les supports d’enregistrements magnétiques, disques acoustiques, études de marché, publicité, location d’enregistrements sonores, de films cinématographiques et l’édition de phonogrammes et de vidéogrammes. Elle indique avoir pour activité la vente de phonogrammes et de vidéogrammes.

Ayant constaté l’existence d’un site exploité sur le réseau internet sous le nom de domaine « dial.fr » par la société Phenix Multimédia qui y propose de « consulter un catalogue de plus de deux millions de références de disques, vidéos, DVD » et ce site comportant une rubrique « CD, DVD & K7 et MP3 » qui permet d’acheter à distance des phonogrammes et des vidéogrammes en se connectant à d’autres sites exploités par des concurrents, elle a assigné la société Phenix Multimédia par acte du 28 mai 2002 en contrefaçon de marque et usurpation de sa dénomination sociale ainsi qu’en payement de la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts. Elle a sollicité également des mesures d’interdiction et de publication, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire, et la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc.

La société Phenix Multimédia excipe du défaut d’exploitation de la marque qui lui est opposée et sollicite le prononcé de la déchéance des droits de la société Dial sur cette marque arguant de ce que les publicités produites par la demanderesse pour justifier de l’exploitation de sa marque révèlent l’usage du terme Dial à titre de nom commercial ou de dénomination sociale mais pas à titre de marque.

En tout état de cause, elle conteste la réalité de la contrefaçon au motif que les produits et services couverts par la marque ne sont ni identiques ni similaires à ceux concernés par le nom de domaine « dial.fr », affirmant que son site est un site de gestion de banque de données et qu’elle ne propose pas à la vente les produits désignés dans l’enregistrement de la marque appartenant à la société Dial.

Elle dénie avoir porté atteinte à la dénomination sociale de la société Dial, estimant qu’il n’existe aucun risque de confusion entre cette dénomination sociale et son nom de domaine dès lors qu’elles exercent des activités différentes.

A titre infiniment subsidiaire, elle fait observer que la société Dial ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice. Elle réclame la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles.

La société Dial réplique que la dénomination « Club Dial » qui apparaît sur ses publicités désigne bien les phonogrammes et vidéogrammes qu’elle commercialise et qu’il importe peu que le terme Dial soit précédé du mot « Club » dès lors que ce dernier n’altère pas le caractère distinctif de la marque Dial ayant seulement pour objet d’indiquer que les produits visés sont vendus par un club de vente par correspondance. Elle ajoute que l’usurpation de sa dénomination sociale est constituée par le simple usage de la dénomination « Dial » pour présenter des phonogrammes et des vidéogrammes indépendamment de leur vente par la société Phenix Multimédia.

Dans ses dernières conclusions, elle maintient l’ensemble de ses prétentions précédemment formulées.

La discussion

Sur la demande en déchéance

Attendu que la société Phenix Multimédia conclut à la déchéance des droits de la société Dial au motif que celle-ci ne rapporterait pas la « preuve de l’exploitation ininterrompue pendant une période de cinq années de la marque Dial à compter de la publication de son enregistrement pour les produits et services visés dans l’enregistrement ».

Attendu que l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle sanctionne de la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans ;

que la loi n’impose donc pas au titulaire de la marque, comme l’affirme à tort la défenderesse, de justifier d’une exploitation de celle-ci durant cinq ans mais seulement de prouver qu’il n’a pas laissé s’écouler une période de cinq ans sans exploiter celle-ci ; que dans le cas d’inexploitation durant une telle période, le titulaire n’est pas pour autant déchu de ses droits si l’exploitation de sa marque a été reprise antérieurement au délai de trois mois précédant la demande de déchéance ainsi que le prévoit le texte précité.

Attendu que la société Dial faisant grief à la société Phenix Multimédia de « présenter » sur son site des phonogrammes et des vidéogrammes, ce pourquoi elle requiert une mesure d’interdiction limitée à cette présentation, la défenderesse ne justifie d’un intérêt à agir en déchéance des droits de la demanderesse que pour les produits qui lui sont opposés ;

que la marque Dial ayant été enregistrée pour protéger les supports d’enregistrements magnétiques et les disques acoustiques, la preuve de l’exploitation de la marque Dial ne doit donc être rapportée que pour ces seuls produits.

Attendu que pour démontrer l’exploitation de sa marque que conteste la société Phenix Multimédia, la société Dial verse aux débats plusieurs documents publicitaires antérieurs de plus de trois mois à la demande en déchéance formée le 9 décembre 2002 et sur lesquels est apposée la dénomination Dial en regard des produits offerts à la vente :

que la société Phenix Multimédia fait valoir que ce n’est pas le terme Dial seul qui est reproduit sur ces documents mais l’expression « Club Dial » et en déduit que la production de ces derniers est inopérante pour justifier d’un usage sérieux de la marque Dial.

Mais attendu qu’aux termes de l’article L 714-5 3ème § b), est assimilé à un usage sérieux « l’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif » ;

que dans l’expression « Club Dial », le terme Dial qui a fait l’objet du dépôt conserve son caractère distinctif malgré l’adjonction du mot Club ;

que la reproduction du terme Dial sur les documents publicitaires précités sur lesquels sont représentés des disques compacts ou des DVD démontre suffisamment l’usage sérieux de la marque Dial par la société demanderesse pour les produits couverts par cette marque ;

que la société Phenix Multimédia sera en conséquence déboutée de sa demande en déchéance.

Sur la contrefaçon

Attendu que la société Dial, se fondant sur les dispositions de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle, incrimine l’utilisation de la dénomination Dial par la défenderesse pour désigner un nom de domaine donnant accès à un site sur le réseau internet sur lequel sont présentés des phonogrammes et des vidéogrammes et qui comporte une rubrique « CD, DVD & K7 et MP3 » permettant l’achat à distance de ces produits en se connectant à d’autres sites exploités par des concurrents de la demanderesse ;

que la société Phenix Multimédia objecte que le site qu’elle exploite n’est qu’une banque de données et qu’aucun des produits visés dans l’enregistrement de la marque Dial n’est proposé par elle à la vente sur son site et qu’il ne peut donc y avoir de risque de confusion dès lors que les liens hypertextes renvoient à d’autres sites tels que « 2xmoins cher », « Fnac », etc.

Attendu que l’article L 713-3 précité prohibe, sauf autorisation du propriétaire, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public ;

qu’ainsi la loi n’exige pas que des produits soient vendus sous la marque reproduite ou imitée pour que la contrefaçon soit constituée, un simple usage pour désigner ces produits étant en lui-même suffisant pour que soit réalisée la contrefaçon.

Attendu qu’il résulte du procès-verbal de constat d’huissier en date du 17 avril 2002 que la société Phenix Multimédia a enregistré le nom de domaine www.dial.fr le 17 décembre 1998 ;

que ce nom conduit à un site dont la page d’accueil reproduit sous la barre d’adresse le signe Dial en caractères blancs sur fond rouge ;

qu’à la rubrique « Vente disques, livres, etc. », sont portées les mentions suivantes : « Consulter un catalogue de plus de deux millions de références de disques, livres français (neufs et d’occasion), livres anglais, espagnol et allemand, vidéos, DVD, cédéroms, jeux, jouets, billets de spectacle, magazines, cadeaux et achat-vente. Utilisez le formulaire suivant pour votre recherche ».

que sous la rubrique « Shopping » figurent d’autres rubriques telle que CD, DVD & K7 et MP3 ;

que l’huissier instrumentaire indique dans son procès-verbal qu’après avoir cliqué sur ce lien, une fenêtre s’ouvre et que plusieurs liens vers des sites apparaissent ; que le premier de ces sites est « 2xmoins cher » en sous titre duquel on peut lire les informations suivantes : « Vendez simplement et Achetez en toute sécurité vos DVD, jeux, CD, téléphones et PDA d’occasion à moitié prix. Tous les produits sont référencés (+ de 300 000) » ;

qu’en sous titre du site « Amazon.fr » figurent les indications qui suivent : « vente de produits culturels : Boutique en ligne de livres, CD, vidéos et DVD. Consultez les nouveautés, les dossiers, les sélections et le catalogue puis commandez en ligne (paiement sécurisé) » ;

que l’huissier ajoute qu’en cliquant sur le lien « Amazon.fr », une autre page s’ouvre sur le site dont l’adresse est : http://.dial.fr/Bin/redirect.asp ?CatlD=62.

Attendu que l’usage qui est ainsi fait de la dénomination Dial peut laisser penser au public, qui accède au site de la société Phenix Multimédia en tapant l’adresse « dial.fr », qu’il utilise un service proposé par la société Dial ou en relation avec cette société ;

qu’il existe donc un risque de confusion certain entre la marque Dial appartenant à la société Dial et le nom de domaine « dial.fr » enregistré par la société Phenix Multimédia ;

que, dès lors, la contrefaçon par imitation de la marque Dial est constituée.

Sur l’atteinte à la dénomination sociale
Attendu qu’il ressort de l’extrait Kbis de la demanderesse que celle-ci à pour dénomination sociale « Diffusion internationale d’arts et loisirs – Dial – et par abréviation : Club Dial » ;

qu’au sein de cette dénomination, le sigle Dial apparaît comme un élément essentiel de la dénomination susceptible à lui seul de désigner la société ; que les sigles bénéficient de la même protection que les dénominations prises dans leur totalité.

Attendu que l’usage par la société Phenix Multimédia de la dénomination Dial dans son nom de domaine porte atteinte à la dénomination sociale de la demanderesse dont l’activité de vente de disques et de vidéogrammes n’est pas contestée par la société défenderesse ;

qu’en effet, les offres qui sont faites sur le site de la défenderesse notamment de consulter un catalogue de plusieurs millions de références de différents produits dont des disques, des vidéos et des DVD sont susceptibles d’entraîner un risque de confusion dans l’esprit du public.

Sur les mesures réparatrices

Attendu qu’il sera fait droit à la mesure d’interdiction sollicité dans les conditions qui seront définies au dispositif ci-après.

Attendu que la société Dial se borne à affirmer qu’elle a subi une perte de clientèle du fait des agissements de la société Phenix Multimédia sans toutefois justifier de cette allégation par la production de documents comptables ou d’autres éléments susceptibles d’établir la véracité de ses dires ;

que le préjudice qu’elle a subi résulte essentiellement dans l’atteinte à ses droits de propriétaire sur la marque et la banalisation de celle-ci ainsi que dans l’atteinte à sa dénomination sociale ;

que la somme de 15 000 € lui sera allouée en réparation de ces différentes atteintes.

Attendu que la publication du présent jugement sera autorisée à titre de dommages-intérêts complémentaires suivant les modalités qui seront précisées au dispositif.

Sur l’article 700 du ncpc

Attendu que l’équité commande d’allouer à la demanderesse la somme de 2500 € au titre des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour faire valoir ses droits.

Sur l’exécution provisoire

Attendu qu’il apparaît nécessaire d’ordonner l’exécution provisoire du seul chef de la mesure d’interdiction.

La décision

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

. Dit qu’en faisant usage de la dénomination Dial à titre de nom de domaine pour présenter des phonogrammes et des vidéogrammes, la société Phenix Multimédia a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque Dial n°1588536 et a porté atteinte à la dénomination sociale de la société Dial.

En conséquence,

. Interdit à la société Phenix Multimédia la poursuite de tels agissements sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé le délai de huit jours à compter de la signification du présent jugement.

. Condamne la défenderesse à verser à la société Dial la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts et celle de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

. Autorise la société Dial à faire publier le dispositif du présent jugement dans trois revues ou journaux de son choix aux frais de la société Phenix Multimédia sans que le coût total de ces insertions n’excède la somme de 9900 €.

. Déboute la société Phenix Multimédia de sa demande reconventionnelle en déchéance.

. Ordonne l’exécution provisoire du chef de la mesure d’interdiction.

. Condamne la société Phenix Multimédia aux dépens.

Le tribunal : M. Girardet (vice président), Mmes Saint Schroeder et Darbois (vice présidentes)

Avocats : Me Nicolas Boespflug, Me Pierre Ortolland

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