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Jurisprudence : Marques

lundi 14 mai 2001
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Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 14 mai 2001

Société Compagnie Gervais Danone / Société Le Réseau Voltaire, Société Gandi, Valentin L. (exerçant sous l'enseigne "Altern B")

liberté d'expression - reproduction marque - risque de confusion

Faits et procédure

Vu l’assignation introductive de la présente instance en référé aux termes de laquelle la société Compagnie Gervais Danone sollicite, au visa de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle, et après avoir saisi le juge du fond, qu’il soit fait interdiction :

1°) au Réseau Voltaire de reproduire les marques Danone n° 95.574.013, n° 95.585.196, n° 96.649.464, n° 96.649.465, n° 96.642.844 et n° 98.764.280 de la société Compagnie Gervais Danne, sous quelque forme que ce soit et de quelque manière que ce soit, sous astreinte définitive de 300 000 F par infraction constatée à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, et sur minute, ces faits apparaissant sérieusement constituer le délit de contrefaçon de marque prévu et réprimé par les articles L. 713-2, L. 713-3, L. 716-1, L. 716-9, L. 716-10 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

2°) à la société Gandi et à Valentin L. d’héberger et de fournir accès au site « jeboycottedanone.net » et à tout site portant atteinte aux marques de la société Compagnie Gervais Danone, et ce sous astreinte de 50 000 F par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance,

ce motifs pris que le site internet « jeboycottedanone.net » du Réseau Voltaire, qui a pris pour contact technique la société Gandi, animée par Valentin L., dans le cadre d’une campagne contre le groupe Danone, reproduit sans autorisation ses marques semi-figuratives Danone, composées d’une cartouche en forme de polygone de couleur bleu comportant dans sa partie inférieure un trait incliné rouge et au centre, en lettres blanches, la dénomination Danone, les mentions « je boycotte Danone.net » ou « je boycotte Danone », reproduisant également ces marques semi-figuratives, faits constituant des actes de contrefaçon des marques Danone n° 95.574.013, n° 95.585.196, n° 96.649.464, n° 96.649.465, n° 96.642.844 et n° 98.764.280, au sens des articles L. 713-2, L. 713-3, L. 716-1, L. 716-9 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle, et auxquels il doit être mis fin en raison du très grave préjudice qu’ils lui causent.

A l’audience des débats, la demanderesse a déclaré se désister de ses demandes à l’encontre de la société Gandi et de Valentin L. ;

Vu les conclusions développées par le Réseau Voltaire pour la Liberté d’Expression, aux termes desquelles ce dernier, invoquant la primauté de la liberté d’expression sur le droit des marques et, en tout cas, l’absence de contrefaçon manifeste des marques Danone dans l’usage qu’il en fait pour dénoncer la politique sociale et la décision de ce grand groupe industriel et commercial de fermer des usines et de licencier les personnels alors que, dans le même temps, il annonce des bénéfices très importants, et surtout l’absence de tout dommage prouvé, sollicite le rejet de la demande et la condamnation de la demanderesse au paiement de la somme de 20 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu les conclusions de la société Gandi qui déclare ne pas accepter le désistement de la demanderesse à son encontre, conclut au débouté des demandes de cette dernière et sollicite avec exécution provisoire qu’il lui soit ordonné de publier la décision à intervenir sous astreinte de 10 000 F par jour de retard et qu’elle soit condamnée à lui payer la somme de 30 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, estimant pour l’essentiel que sa mise en cause lui est gravement préjudiciable alors surtout qu’elle s’est toujours déclarée prête à se soumettre à toute décision judiciaire qui serait portée à sa connaissance à l’occasion du jugement d’un litige relatif à la disposition de l’enregistrement des noms de domaine ;

Vu les conclusions de Valentin L. qui déclare également ne pas accepter le désistement de la demanderesse à son encontre, concluant pour le surplus à sa mise hors de cause et à la condamnation de la demanderesse au paiement de la somme de 20 000 F sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, en estimant qu’il n’est aucunement concerné à titre personnel et en rappelant que le nom de domaine « jeboycottedanone.net » a été enregistré auprès des services de la société Gandi dont il est le gérant et que le site litigieux a été enregistré et est hébergé par le Réseau Voltaire ;

Vu, pour le surplus, les écritures des parties et les pièces produites aux débats ;

Attendu que toute liberté a pour corollaire la responsabilité ;

Attendu qu’être responsable dans l’usage d’une liberté, fut-ce dans l’usage de la liberté d’expression, c’est, d’une part, exercer cette liberté dans le cadre légal qui la régit et, d’autre part, ne mettre en œuvre que les moyens strictement nécessaires à la satisfaction des buts légitimes poursuivis, sauf à faire dégénérer cet usage en abus ;

Attendu que le Réseau Voltaire participe à un mouvement de contestation des décisions de fermeture d’entreprises dans le secteur de la biscuiterie prises par le Groupe Danone, par un appel au boycott des produits Danone sur son site internet « jeboycottedanone.net » ;

Attendu que, pour ce faire, il utilise la dénomination Danone qui est également protégée par le droit des marques ;

Mais attendu, et comme déjà rappelé par le juge des référés, dans son ordonnance du 23 avril 2001, que cette utilisation correspond à une référence nécessaire pour indiquer la destination du site polémique et qu’associée au terme très explicite « jeboycotte », elle ne peut conduire, dans l’esprit du public, à aucune confusion nécessaire quant à l’origine du service offert sous ce nom ;

Attendu, toutefois, que l’utilisation de cette dénomination dans les conditions ci-dessus rappelées constitue le moyen de nature à garantir et à satisfaire pleinement la libre expression du Réseau Voltaire sur le sujet ;

Attendu, en revanche, que la reproduction sur le site du Réseau, et à l’identique, des marques semi-figuratives Danone n’est en aucun cas indispensable à la satisfaction de ses objectifs, qui sont de faire connaître au plus grand nombre les conséquences économiques et sociales des décisions du groupe et d’inciter à un débat et une prise de conscience collectifs ;

Attendu que le recours à la reproduction des marques semi-figuratives Danone excède donc les besoins de la liberté d’expression ; qu’il peut avoir, au contraire, un effet d’affaiblissement desdites marques pour le plus grand préjudice des salariés du groupe et sans gain avéré pour les salaires concernés par les mesures de fermeture ;

Attendu donc que cette reproduction sans nécessité et sans autorisation constitue bien une contrefaçon ;
Qu’il convient, en conséquence, d’interdire au Réseau Voltaire de faire usage de ces marques semi-figuratives sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé un délai de 6 jours à compter de la notification de la décision, et de le condamner à une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Ncpc ;

Attendu que la société Gandi et Valentin L. ayant refusé d’acquiescer au désistement de la demanderesse à leur encontre, il peut être constaté, comme ces derniers en forment la demande, que la procédure a été introduite sans précaution aucune à leur encontre pour obtenir une mesure à laquelle ils n’étaient pas en mesure de satisfaire puisque ni l’un ni l’autre n’étaient l’hébergeur du site « jeboycotte.net » et étant observé, au surplus, en ce qui concerne la société Gandi, qu’il n’est pas démontré, ni même allégué sérieusement que cette société aurait outrepassé les termes de sa mission d’enregistrement de noms de domaine conformément au contrat d’accréditation passé avec l’ICANN, ni qu’elle ait fourni les moyens permettant la réalisation du délit de contrefaçon ;

Attendu qu’en conséquence, il y a lieu de débouter la demanderesse de toutes ses demandes à leur encontre et de la condamner à payer à chacun d’eux la somme de 8 000 F sur le fondement de l’article 700 du Ncpc ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de prescrire une mesure de publication ;

Attendu qu’il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire de notre décision ;

Par ces motifs

Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire,

. faisons interdiction au Réseau Voltaire pour la Liberté d’Expression de faire usage des marques semi-figuratives n° 95.574.013, n° 95.585.196, n° 96.649.464, n° 96.649.465, n° 96.642.844 et n° 98.764.280 de la société Compagnie Gervais Danone, ce sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé un délai de 6 jours à compter de la notification de la présente ordonnance ;

. déboutons la société Compagnie Gervais Danone des demandes qu’elle a formées à l’encontre de la société Gandi et de Valentin L. ;

. condamnons le Réseau Voltaire à payer à la demanderesse la somme de 10 000 F sur le fondement de l’article 700 du Ncpc ;

. condamnons la demanderesse à payer à la société Gandi et à Valentin L. chacun la somme de 8 000 F sur le fondement de l’article 700 du Ncpc ;

. disons n’y avoir lieu de prescrire d’autres mesures ;

. ordonnons l’exécution provisoire de l’ordonnance ;

. mettons les dépens à la charge du Réseau Voltaire, à l’exception de ceux qui sont des demandes dirigées contre la société Gandi et Valentin L. qui resteront à la charge de la société demanderesse.

Le tribunal : M. Jean-Jacques Gomez (premier vice-président au tribunal de grande instance de Paris, tenant l’audience publique des référés par délégation du président du tribunal).

Avocats : Mes Michel-Paul Escande, Brigitte Kadri, Olivier Itéanu et Marc Martin.

Notre présentation de la décision

 
 

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