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Jurisprudence : Marques

vendredi 31 octobre 2003
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Cour d’appel de Versailles 12ème chambre, section 1 Arrêt du 31 octobre 2002

Biotherm / Octavian P. Jurma

contrefaçon - marques

Faits et procédure

La société anonyme de droit monégasque Biotherm est spécialisée dans la fabrication et vente de parfums, produits de beauté et produits connexes. Elle est propriétaire, pour en avoir fait le dépôt en 1986 et 1987 et en avoir obtenu l’enregistrement, régulièrement renouvelé, de trois marques portant sur la dénomination Biotherm.

Elle utilise ces marques pour désigner une importante gamme de produits cosmétiques et de soins commercialisés en pharmacie et parfumerie. Elle présente par ailleurs ses activités sur les sites internet www.biotherm.com et www.biotherm.net .

Elle s’est émue de l’enregistrement, auprès de l’opérateur Internic (NSI), du nom de domaine www.bioterm.net effectué au nom de : « Octavian P Jurma », US, comme constaté par huissier le 6 avril 2000, à Clichy, après connexion sur le réseau internet.

Y voyant une contrefaçon de ses marques présentées comme notoires, s’accompagnant d’agissements parasitaires constitutifs d’une faute au sens de l’article 1382 du code civil, elle a fait assigner l’intéressé, qui n’a pas constitué avocat.

C’est dans ces conditions que, par jugement réputé contradictoire du 8 janvier 2001, le tribunal de grande instance de Nanterre :

– a notamment retenu :

… la société Biotherm soutient que ses marques sont notoires ; qu’ainsi, même s’il n’a pas été procédé au dépôt des marques pour les classes de produits liés à internet, elle doit bénéficier de la protection prévue à l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle ; que les similitudes entre « bioterm » et « biotherm » sont incontestables.

Selon les dispositions de l’article L 713-5 du code précité, l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée, pour les produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque.

Cet article constituant une dérogation au principe de la spécialité de la marque doit être interprété restrictivement.

S’agissant d’une action spéciale en responsabilité qui permet de faire interdire et sanctionner « l’emploi », opéré dans certaines conditions, d’une marque de renommée, elle n’interdit pas l’utilisation d’un signe voisin par sa forme ou les évocations qu’il suscite.

En l’espèce, Octavian P. Jurma a enregistré le nom de domaine « bioterm » ; il n’est pas le simple emploi de la marque Biotherm ; les dispositions de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle ne peuvent recevoir application …

La demande fondée sur l’atteinte portée aux marques doit être rejetée.

La société Biotherm allègue également qu’Octavian P. Jurma s’est rendu coupable de parasitisme ; cependant, il n’est aucunement démontré que celui-ci aurait cherché à profiter de la notoriété des marques Biotherm, à monnayer le nom de domaine, à créer la confusion dans l’esprit des utilisateurs d’internet…

– pour se prononcer comme suit :

Déboute la société Biotherm de ses demandes…

Appelante de ce jugement, la société Biotherm (conclusions du 9 novembre 2001) insiste sur la quasi identité littérale des signes litigieux et leur totale identité phonétique, entraînant un risque de confusion manifeste.

La contrefaçon de ses marques Biotherm serait donc constituée, car il serait de « jurisprudence que la contrefaçon d’une marque est caractérisée du seul fait de l’enregistrement d’un nom de domaine la reproduisant » ;

Au demeurant, celles-ci auraient acquis une notoriété certaine tant en France qu’à l’étranger du fait de leur ancienneté et des larges campagnes publicitaires effectuées sur différents supports auprès d’un très large public.

Même s’il n’a pas été procédé à leur dépôt pour « les classes de produits liés à l’internet », elle serait fondée à prétendre à la « protection attachée aux marques notoires par application des dispositions de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle ».

L’enregistrement du nom de domaine contesté, correspondant depuis l’origine à un « site en construction », aurait eu pour seul but de porter atteinte à ses droits. L’article L 713-5 précité ne serait-il pas applicable, ses réclamations devraient être admises sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

Le nom de domaine précité, enfin, porterait atteinte aux droits qu’elle tient de sa dénomination sociale.

La cour devrait donc réformer le jugement, constaté qu’Octavian P. Jurma s’est rendu coupable de contrefaçon ainsi que de parasitisme, le condamner à des dommages-intérêts (500 000 F au titre de la contrefaçon ; 400 000 F au titre du parasitisme commercial) et prononcer les mesures qui s’imposent : interdiction, transfert du nom de domaine et publication de l’arrêt.

La discussion

Considérant que la société de droit monégasque Biotherm reprend pour l’essentiel ses arguments de première instance, pour voir déclarer constitutif de contrefaçon de ses marques Biotherm et d’une faute au sens de l’article 1382 du code civil, l’enregistrement, fait par la société Octavian P. Jurma, du nom de domaine www.bioterm.net auprès de l’opérateur Internic ;

Qu’il apparaît que c’est par une exacte appréciation des faits de la cause que les premiers juges l’ont déboutée, alors que :

1 – Aucune conséquence ne saurait être ici tirée des enregistrements de marques qu’elle invoque ; en effet, contrairement aux « pièces justificatives » annoncées, leurs « certificats d’identités » ne sont pas produits ; les pièces 1 à 3, figurant au dossier, sont des « certificats de renouvellement » attestant sans doute de la réalité et du maintien desdits enregistrements ; mais, ils ne permettent pas de connaître l’étendu de la protection conférée, en l’absence d’énoncé des produits ou services couverts, que ne saurait suppléer la simple indication des classes correspondantes ;

En réalité, sur le terrain du droit des marques, la société Biotherm – qui justifie de la connaissance de ses marques par un large public, à raison de l’intense exploitation qu’elle en fait tant en France qu’à l’étranger pour des produits cosmétiques et de soins – peut seulement invoquer le bénéfice :

– de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle permettant, même en l’absence de dépôt ou d’enregistrement, de faire « interdire l’usage d’une marque de fabrique ou de commerce qui constitue la reproduction, l’imitation ou la traduction, susceptible de créer une confusion … d’une marque … notoirement connue … utilisée pour des produits identiques ou similaires » ;

– de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle qui, en son alinéa second, étend aux marques notoirement connues, le bénéfice de son alinéa premier (applicable aux marques enregistrées) aux termes duquel « l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière » ;

2 – Toutefois, la protection prévue à l’article 6 bis de la convention de Paris, envisagé isolément, est ici sans incidence ; en effet, elle s’entend dans le cadre de la spécialité de la marque, délimitée par les produits pour lesquels elle est notoirement connue ; or, rien ne permet de retenir que l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été effectué pour un site ayant pour objet les produits cosmétiques et de soins, pour lesquels les marques Biotherm sont notoirement connues, voire pour des produits similaires ; la société Biotherm le reconnaît elle-même en observant qu’il correspond à un site inactif ;

Les conditions de la protection élargie prévue à l’article L 731-5 du code précité ne sont pas réunies même si – contrairement à l’appréciation des premiers juges – elles ne se limitent pas à la reprise d’une marque à l’identique, l’interprétation du premier alinéa de cet article ne pouvant être dissociée de l’article 5 de la première directive communautaire (21 décembre 1998) sur les marques dont la transposition, pour être optionnelle, n’a pu être qu’intégrale dès lors qu’il a été usé de l’option ;

En effet, même dans la perspective d’internautes francophones, il n’est pas établi que le nom de domaine litigieux tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée des marques Biotherm, voire leur porte préjudice ; le préfixe « bio » (abréviation de « biologie ») juxtaposé au suffixe « term » (abréviation du mot « terme ») confère notamment une tout autre signification ; l’internaute est rompu à la rigueur qui doit présider à l’orthographe des noms de domaine ; la société Biotherm admet elle-même que l’enregistrement litigieux n’a pas fait obstacle à ce qu’elle dispose d’un site internet www.biotherm.com et www.biotherm.net » ;

3 – comme relevé par les premiers juges, la preuve n’est pas rapportée d’une faute engageant la responsabilité civile du bénéficiaire de l’enregistrement litigieux sur le terrain du droit commun des articles 1382 et suivants du code civil ;

L’atteinte alléguée à la dénomination sociale de la société Biotherm n’apparaît pas plus constituée, en l’absence de tout risque de confusion ou plus généralement de préjudice, dûment établi ;

Considérant que la société Biotherm sera donc déboutée de son appel et le jugement entrepris confirmé ; que la partie qui succombe doit supporter les dépens ;

La décision

. Confirme le jugement entrepris,

. Laisse à la charge de la société Biotherm les dépens d’appel.

La cour : M. Alain Raffejeaud (président), MM. Dragne et Chapelle (conseillers)

Avocats : Me Itéanu

 
 

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