Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Marques

jeudi 23 mars 2006
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre Jugement du 02 mars 2006

Hôtels Méridien / Google France

concurrence déloyale - contrefaçon - liens commerciaux - marque notoire - marques - moteur de recherche - mots clés - publicité - rémunération

FAITS ET PROCEDURE

La société des hôtels Méridien se prévalant de droits privatifs sur les marques Méridien et Le Méridien, sous lesquelles elle exerce son activité hôtelière, fait grief à la société Google France d’avoir commercialisé dans le cadre de son programme publicitaire AdWords des mots-clés correspondant de manière servile, quasi-servile ou encore imitante à ses marques et d’avoir permis l’affichage sur le site www.google.fr de liens hypertextes publicitaires à destination de sites internet proposant des services et des produits identiques à ceux protégés par ses marques dans la classe 42 et l’a fait assigner par acte du 1er octobre 2004 en contrefaçon sur le fondement des articles L 713-2-a du code de la propriété intellectuelle, subsidiairement, sur le fondement de l’article L 713-3-b du même code, plus subsidiairement en concurrence déloyale et en parasitisme, pour qu’il soit mis fin à ces agissements et que les préjudices subis donnent lieu à réparation.

Le président de ce tribunal, statuant en la forme des référés, saisi par la société des hôtels Méridien, a par ordonnance du 16 décembre 2004, enjoint à la société Google France de supprimer de son outil de suggestion de mots-clés de son programme AdWords les mots ou expressions suivantes : « Méridien au singulier ou au pluriel, avec ou sans accent ; le Méridien, accolés ou séparés, au singulier ou au pluriel, avec ou sans accent ; les mêmes, combinés avec « hôtel » ou avec « resort » au singulier ou au pluriel avec ou sans accent ».
Il lui a interdit l’affichage de liens hypertextes publicitaires portant sur les produits et services désignés par lesdites marques.

Aux termes d’ultimes conclusions en date du 8 décembre 2005, la société Google France demande à titre liminaire au tribunal d’écarter les copies d’écran versées aux débats par la plaignante, d’annuler les constats d’huissier en date du 10 juin, 1er juillet et 1er décembre 2004 et 21 janvier 2005 portant sur les résultats générés par l’outil de mots-clés, établis en violation de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et du principe de loyauté des preuves.
Elle soutient à titre principal que sa responsabilité ne saurait être engagée en application des dispositions de l’article 6 alinéa 2 de la loi sur la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, étant un prestataire de service, au sens de l’article 2 de ladite loi et 43-8 de la loi du 30 septembre 1996, qui a agi promptement au-delà des exigences légales en prenant des mesures de filtrages et de blocage. Elle conteste toute contrefaçon dès lors que le « générateur de mots-clés » ou « outil de mots-clés » mis à disposition des souscripteurs au service AdWords n’est pas illicite en ce qu’il ne vise pas à inciter ces derniers à choisir en tant que marques désignant des produits et services les mots-clés, listés à titre purement indicatif et fait valoir que la création de liens commerciaux ne lui est pas imputable, qu’il n’existe aucun risque de confusion et qu’elle ne peut être considérée comme l’auteur des faits de contrefaçon. Elle observe qu’elle a satisfait aux prescriptions de l’ordonnance rendue le 16 décembre 2004 et étendu aux variantes du terme générique méridien, ainsi qu’à d’autres services que l’hôtellerie, la mesure de blocage ;

Plus subsidiairement, elle rejette toute demande du chef de la concurrence déloyale, de parasitisme et de publicité trompeuse et repousse les prétentions indemnitaires en concluant à la limitation des mesures de restriction et d’interdiction.

Par ses dernières conclusions du 12 décembre 2005, la société des hôtels Méridien, visant les articles L 713-2a, L 713-3b et L 713-5 du code de la propriété intellectuelle, fait observer que la société Google France a persisté dans ses agissements illicites malgré les termes qui lui ont été notifiés de l’ordonnance rendue au visa de l’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle le 16 décembre 2004. Elle se prévaut à titre liminaire de la validité des impressions d’écran et constats qu’elle verse aux débats tout en demandant de rejeter les pièces adverses n°135 à 137.

Elle soutient que Google France, qui agit en qualité de prestataire de positionnement payant est soumise au droit commun de la responsabilité civile, qu’elle a fait usage et a reproduit ses marques dans le cadre de son service AdWords pour désigner des produits et des services identiques à ceux protégés par ses marques et a fait preuve d’une particulière mauvaise foi en prenant des mesures de blocage pour partie inopérantes, que ces agissements continus constituent des actes de contrefaçon, subsidiairement de concurrence déloyale, de parasitisme et de publicité trompeuse, justifiant sa demande d’interdiction, d’allocation d’une somme de 500 000 € à valoir sur les indemnités à fixer après expertise au titre des atteintes portées aux signes distinctifs, de la confusion créée dans l’esprit du public, du préjudice commercial, de l’anéantissement des investissements publicitaires et du préjudice moral et enfin de publication formée dans la presse et sur internet, avec le bénéfice de l’exécution provisoire.
Les parties ont sollicité le bénéfice des dispositions de l’article 700 du ncpc à leur profit.

DISCUSSION

Sur la recevabilité des pièces

Attendu que les impressions d’écran en cause, produites en référé et mises aux présents débats, proviennent des sites de la société Google ; qu’elles ont été soumises à la contradiction de la société défenderesse et valent en tout état de cause à titre de renseignements ; qu’il n’y a pas lieu de les écarter ;

Attendu que la défenderesse, pour voir annuler les constats dressés les 10 juin, 1er juillet et 1er décembre 2004 et 21 janvier 2005 par Mes J. et L., leur reproche d’avoir outrepassé leur pouvoir en jouant un rôle actif à l’occasion de leurs constatations ; mais attendu que si les huissiers ne peuvent, aux termes de leur statut, donner leur avis sur les conséquences de fait ou de droit pouvant résulter de leurs constatations, la démarche qu’ils ont en l’espèce utilisée, pour procéder aux mesures de constat des faits incriminés, répond aux contraintes techniques imposées par l’outil informatique et s’inscrit dans la ligne de l’ordonnance du 16 décembre 2004 en ce qui concerne le dernier constat attaqué ; qu’aucune cause de nullité des procès verbaux critiqués n’est démontrée ;

Attendu que la demande de rejet des pièces adverses n°135 à 137 relatives à l’historique de comptes AdWords de concurrents n’est pas justifiée, qu’elle sera écartée ;

Sur la contrefaçon

Attendu qu’il n’est pas contesté que la société des hôtels Méridien est titulaire des marques Méridien n°1613 199 et Le Méridien n°00/3 006 394, régulièrement enregistrées notamment dans le secteur de l’hôtellerie, activité pour laquelle elle est mondialement connue ; qu’il s’agit incontestablement de marques reconnues notoires par des décisions judiciaires nationales, européennes, et étrangères, mais également par l’Organisation mondiale de la propriété industrielle, ainsi qu’il résulte des pièces versées au dossier ;

Attendu qu’il résulte des pièces mises contradictoirement aux débats que le système de référencement AdWords proposé par la société Google France, qui a une activité déclarée de moteur de recherche, suggère aux annonceurs des mots-clés permettant d’améliorer la pertinence de leur annonce et met en étroite corrélation les mots-clés sélectionnés et la requête de l’utilisateur du moteur de recherche pour déclencher l’affichage de l’annonce ; qu’elle propose ainsi une liste de mots-clés spécifiques pertinents et des mots supplémentaires dans la fonction avancée en requête large afin d’améliorer le ciblage de l’annonce ;

Attendu que les divers constats mis aux débats montrent que, parmi les mots-clés listés dans l’outil de suggestion précité, figurent les termes « Méridien » et « le Méridien », au singulier ou au pluriel, avec ou sans accent, séparés ou accolés, seuls ou associés à des termes décrivant l’activité de la société demanderesse, c’est à dire « hôtel » et « resort » ou à un site géographique ;

Que l’utilisateur du moteur de recherche www.google.fr en formulant une requête avec les signes distinctifs « méridien » et « le méridien » et cherchant les services désignés par ces marques, trouve un lien commercial avec une ou plusieurs offres de services identiques ou similaires proposées par des concurrents du secteur hôtelier ;

Attendu que Google écarte toute responsabilité dans l’utilisation des mots-clés qu’elle ne vendrait pas, aux motifs que ces mots-clés seraient sélectionnés sur la seule initiative des exploitants titulaires des sites concernés, qu’elle met en garde ces exploitants contre l’utilisation illicite de marques et met en ligne à disposition des tiers une procédure rapide de réclamations et de traitement en cas d’usage illicite de leurs droits ;

Mais attendu que le système de référencement AdWords est un outil marketing ainsi que le présente la société Google France en annonçant dans la page d’accueil AdWords : « nous faisons tout notre possible pour vous aider à tirer le meilleur parti de vos annonces et à attirer des clients potentiels ciblés avec une rentabilité maximale. Nous vous communiquons des estimations de coûts et des outils destinés à vous aider à contrôler les coûts et l’URL de destination de chaque mots-clés de vos campagnes » ;

Qu’en effet Google France suggère le choix de mots-clés parmi lesquels figurent les signes incriminés et les fait apparaître à l’écran en fonction de l’activité de l’annonceur ; qu’une fois retenus par l’annonceur, les termes « Méridien » et « le Méridien » font apparaître en réponse à la requête de l’utilisateur portant sur ces termes, à droite de la page, un lien commercial vers des concurrents dans des secteurs identiques ou similaires, créant ainsi un risque de confusion dans l’esprit de l’internaute, lequel peut être enclin à associer les sociétés en présence ;

Qu’il s’ensuit que la défenderesse a commis des actes de contrefaçon par reproduction ou imitation au sens des articles L 713-2a et L 713-3b du code de la propriété intellectuelle ; qu’elle ne peut être exonérée de sa responsabilité en arguant d’une absence de contrôle ou de sa bonne foi ;

Attendu que le service AdWords proposé par la société Google France assoit sa rémunération sur la fréquentation des sites caractérisée par le clic effectué par l’internaute sur les liens hypertextes publicitaires ; qu’il s’agit d’un service commercial ; que la défenderesse, nullement recherchée pour son activité de moteur de recherche, ne saurait, dans le cadre de son activité publicitaire dénommée AdWords, bénéficier du statut protecteur de prestataire de stockage au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique ni au sens de la loi du 1er août 2000 ;

Attendu, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une mesure d’instruction, que le tribunal dispose des éléments d’information suffisants pour fixer à la somme de 150 000 € l’indemnité réparatrice des préjudices subis par la société demanderesse dont l’image de qualité s’est trouvée galvaudée du fait des agissements de la société Google France l’assimilant à des concurrents pratiquant des prix bradés, dégriffés, « cheap » ou un « discount » et les effets de ses investissements publicitaires et de ses efforts financiers amoindris par ces faits, mettant l’internaute en lien avec les concurrents directs tels que les hôtels Accor et Radisson notamment ;

Attendu que les agissements contrefaisants, dénoncés en avril 2004, se sont poursuivis postérieurement à l’interdiction qui a été signifiée le 10 janvier 2005 à la défenderesse, ainsi qu’en atteste le procès verbal de constat dressé le 25 mars 2005 ; que leur poursuite justifie les mesures de suppression, d’interdiction et de publication dont la portée doit être cependant limitée dans les termes du dispositif ;

Attendu que toutes les autres demandes subsidiaires sont en conséquences sans objet ;

DECISION

Par ces motifs,

. Ecarte l’ensemble des incidents de procédure relatifs aux pièces litigieuses mises aux débats par les parties.

. Dit que la société Google France a commis des actes de contrefaçon au sens des articles L 173-2a et L 713-3b du code de la propriété intellectuelle.

. Lui ordonne de supprimer de son générateur de mots-clés, accessible sur son site internet www.google.fr, toute référence aux marques « Méridien » et  » Le Méridien », de manière identique ou similaire, sous astreinte journalière de 5000 € passé le délai de huit jours suivant la signification de la présente décision.

. Lui interdit d’afficher sur son site internet www.google.fr tout lien hypertexte publicitaire à destination de sites annonceurs exerçant une activité identique ou similaire à l’activité couverte par les services désignés dans la classe 42 par les marques considérées, sous les mêmes conditions d’astreinte.

. Condamne la société Google France à payer à la société demanderesse la somme de 150 000 € à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon.

. Ordonne la publication aux frais de la société Google France sur la partie haute de la première page de son site internet accessible à l’adresse www.google.fr du communiqué judiciaire suivant, sous le titre « Publication judiciaire », pendant quinze jours et sous astreinte de 3000 € par jour de retard passé le délai de 48 heures à compter de la signification de la présente décision ;

« La première chambre du tribunal de grande instance de Nanterre a condamné la société Google France par jugement du 2 mars 2006 pour avoir porté atteinte aux droits dont la société des hôtels Méridien est titulaire sur les marques « Méridien » et  » Le Méridien ».

. Ordonne l’exécution provisoire.

. Se réserve la liquidation des astreintes.

. Rejette toutes prétentions plus amples ou contraires des parties.

. Vu l’article 700 du ncpc, condamne la société Google France à payer à la demanderesse la somme de 5000 €.

. Condamne la société défenderesse aux dépens qui comprendront les frais de constats d’huissier dressé les 27 mai, 10 juin, 1er juillet, 15 novembre, 1er décembre 2004, 21 janvier, 10 février et 21 mars 2005 ainsi qu’aux frais de constat de l’Agence pour la Protection des Programmes établi le 19 octobre 2005.

Le tribunal : Mme Francine Levon-Guérin (premier vice président), Mme Marie Claude Hervé et Marianne Raingeard (vice présidentes)

Avocats : Me Cyril Fabre, Me Alexandra Neri

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Alexandra Neri est également intervenu(e) dans les 99 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Cyril Fabre est également intervenu(e) dans les 132 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Francine Levon Guerin est également intervenu(e) dans les 8 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Marianne Raingeard est également intervenu(e) dans les 12 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Marie-Claude Hervé est également intervenu(e) dans les 44 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.