Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Jugement du 13 février 2004
M. M. / Sony Music et autres
contrefaçon - marques - nom de domaine
Les faits et procédure
- M. qui se définit comme « conseil artistique de Mlle M. P. » a déposé le 16 avril 2002, en son seul nom, la marque complexe « Z. Z. » sous le numéro 023161165 pour désigner les produits et services des classes 19, 25, 35, 38, 41 et 42 et notamment la production de spectacles, de divertissements et les services de jeux proposés en ligne.
La partie figurative de la marque donne à voir une jeune femme, à la chevelure fournie, et au torse dénudé.
- M. expose qu’il a découvert que peu après avoir déposé cette marque, il eut connaissance que M. Y. et Mme Z. . avaient déposé, le 23 avril, sous le numéro 023161011 la marque « Z.Z. », et qu’un compact disc était commercialisé sous la marque Z.Z.. Il découvrit en outre que la société Sony Music avait fait enregistrer le 31 mai 2002 les noms de domaine « Z. Z..TV » et « ZZ.com » pour promouvoir la vente des enregistrements phonographiques des interprétations de Mme Z. . qui s’est fait connaître sous le pseudonyme de « Z. Z. » dans le cadre d’une émission diffusée sur la chaîne de télévision « M6 » intitulée Loft Story 2.
Les sociétés Sony Music, DR Com et M. Y. ont conclu un contrat de licence concernant les droits exclusifs d’exploitation et de distribution des enregistrements et interprétations de Mme Z. ., dite Z. Z..
Estimant que le dépôt et l’exploitation de la marque « Z. Z. », sous la forme, notamment, de la commercialisation de divers CD constituent des actes de contrefaçon de la marque première « Z. Z. », M. M. a, par acte du 23 juillet 2002, fait assigner les sociétés Sony Music et DR Com, ainsi que M. Y. et Mme Z. . pour voir prononcées les mesures d’interdiction, de confiscation et de publication d’usage et pour voir condamnés in solidum les défendeurs à lui verser la somme de 200 000 € à titre de dommages-intérêts.
Les défendeurs, Mme Z. ., M. Y. et la société DR Com, opposent en substance que le dépôt de la marque « Z. Z. » est intervenu alors que Mme Z. . était déjà connue sous le pseudonyme de « Z. Z. » ou de « Z. Z. » et que sa participation à l’émission Loft Story 2, concomitante à la date du dépôt de la marque du demandeur, n’a fait qu’accroître le renom du pseudonyme de Mme Z. . Ils soulignent que M. M.n’a pas entrepris d’acte sérieux d’exploitation de sa marque et ne s’explique pas sur les raisons pour lesquelles Mlle M. P. dont il est l’agent artistique et dont la carrière artistique apparaît des plus confidentielles, a choisi, soudainement, le pseudonyme de Z. Z..
Ils considèrent que Mme Z. est titulaire d’un droit antérieur sur le pseudonyme « Z. Z. » et que le dépôt par M. M.de la marque éponyme revêt un caractère frauduleux qui commande son annulation.
Ils sollicitent la condamnation de M. M.à verser à Mme Z. les sommes de 100 000 € en réparation de son préjudice moral, et de 100 000 € en réparation de son préjudice matériel et M. Y. la somme de 200 000 € en réparation du préjudice qu’il a subi en tant que producteur.
La société Sony Music conclut pareillement au caractère frauduleux du dépôt de la marque « Z. Z. ». Elle sollicite « la cessation » des sites litigieux et la condamnation de M. M.à lui verser les sommes de 30 000 € pour procédure abusive et 50 000 € à titre de dommages-intérêts.
La discussion
Sur le caractère frauduleux du dépôt de la marque « Z. Z. » n°023161165
Attendu que M. M. a déposé la marque « Z. Z. » le 16 avril 2002.
Attendu que le caractère frauduleux de ce dépôt réside selon les défendeurs dans la concomitance de la date de dépôt et de la date d’apparition de Mme Z. ., dans le cadre d’une émission de télévision Loft Story 2, très largement diffusée et au cours de laquelle elle s’est distinguée, notamment par sa personnalité ; que, avant même cette émission, elle avait d’ailleurs collaboré avec des artistes de la scène « rap » et avait été une animatrice d’une émission consacrée à la musique sur la chaîne de télévision « MCM Africa » ; que, dans ces différentes prestations publiques, Mme Z. . se faisait désigner sous son pseudonyme de « Z. Z. » ce que Gérard M., en sa qualité de professionnel de la musique ne pouvait ignorer ;
Attendu que les défendeurs considèrent dès lors que le dépôt le 16 avril 2002, moins d’une semaine après la première apparition de Mme Z. . sur la chaîne M6, n’a eu pour objet que d’anticiper l’exploitation commerciale du pseudonyme « Z. Z. » et de faire ainsi obstacle aux projets professionnels que Mme Z. . désirait entreprendre sans tarder ;
Attendu que M. M.se borne à opposer que Mme Z. . ne s’est pas distinguée dans les premiers jours de l’émission Loft Story 2 et qu’elle était parfaitement inconnue du public ; que la chaîne MCM où Mme Z. . était présentatrice ne jouit que d’une diffusion confidentielle et qu’en tous cas, dans ces quelques apparitions publiques, Mme Z. utilisait le pseudonyme de Z. Z. et non celui de Z. Z. ;
Attendu, ceci étant rappelé, que le tribunal ne peut que relever que Mme Z. . avait fait usage du pseudonyme « Z. Z. » ou « Z. Z. » bien avant le 16 avril 2002, date du dépôt par M. M.de la marque complexe « Z. Z. » laquelle associe à ce terme la représentation d’une jeune femme dont la chevelure et la silhouette sont évocatrices précisément de celles de Mme Z. . et en aucune manière de celles de la chanteuse dont M. M.se dit l’agent ;
Attendu par ailleurs que les pièces produites établissent que, dès 1999, Mme Z était dénommé « Z » comme en témoigne, par exemple, le contrat d’enregistrement exclusif qu’elle avait conclu le 14 avril 1999 avec la société 993 Records et la société Factory ; qu’il n’est pas plus contestable, ni d’ailleurs contesté, qu’elle fut, à plusieurs reprises en 2001, présentatrice d’une émission musicale sur la chaîne MCM Africa, où elle était déjà désignée sous le pseudonyme Z. Z. ;
Attendu que si, cependant, ces prestations ne l’avaient pas encore fait largement connaître du public sous ce pseudonyme, il est indéniable que, dès le début de l’émission Loft story 2, diffusée sur la chaîne M6 à partir du 11 avril 2002, Mme Z. . fut désignée sous le pseudonyme de « Z. Z. » et s’est très vite fait remarquer par sa personnalité, comme en témoigne les extraits d’une interview parus dans l’hebdomadaire « TV Magazine » ; que Mme Z. . y est décrite par l’animateur de cette émission comme étant une « professionnelle », en soif de notoriété, et déjà connue avant ladite émission ;
Attendu qu’il suit que le 16 avril 2002, M. M., professionnel de la musique, ne pouvait pas ignorer que le terme « Z. Z. » était le pseudonyme d’une artiste de spectacle et chanteuse ;
Attendu que le tribunal relève en outre que, dans le contrat dit de « direction d’artiste » conclu par Gérard M., le 1er mars 2002, avec Mlle M. P. – contrat qui prévoit une rémunération au profit de M. M.de 80% des cachets de l’artiste – il n’est nullement fait état du pseudonyme de « Z. Z. » ;
Attendu qu’un dépôt doit être considéré comme frauduleux dès lors qu’une personne sachant qu’un tiers utilise un signe sans l’avoir encore protégé, dépose celui-ci à titre de marque dans le dessein de l’opposer à son usage antérieur ;
Attendu que telle est la situation de l’espèce ; qu’il convient donc d’accueillir la demande d’annulation de la marque de la propriété intellectuelle et de rejeter l’intégralité des demandes formées par Gérard M.
Sur le parasitisme
Attendu que Mme Z. . et M. Y. font grief à M. M. d’avoir enregistré le nom de domaine « Z. Z.com », alors même que Mme Z. . est promue par un site dénommé « Z. Z..com » et « Z. Z..TV » ;
Que le site ouvert par M. M.est d’ailleurs référencé sur de nombreux moteurs de recherche lorsque le terme « Z. Z. » est saisi ; que le constat établi le 30 janvier 2003 par l’Agence pour la Protection des Programmes permet ainsi de constater l’existence d’un reroutage en faveur du site ouvert par M. M.vers les pages « Z. Z.officiel.com » consacré à Mlle M. P. ;
Attendu donc que l’ouverture et l’entretien du site sous la dénomination « Z. Z..com » n’a d’autre fin que de détourner la notoriété acquise par Mme Z. ., au profit d’une autre artiste et de son producteur ;
Que se faisant, M. M. a commis des actes de parasitisme commercial au préjudice de Mme Z. . mais également de la société Sony Music qui a ouvert un site « Z. Z..TV » consacré à la discographie de Mme Z. . ;
Sur les mesures réparatrices
Attendu qu’il sera fait droit aux demandes d’annulation de la marque « Z. Z. » et de transfert du nom de domaine Z. Z..com ;
Attendu que Mme Z. . a subi un préjudice circonscrit au demeurant à l’existence du site « Z. Z..com » et au dépôt de la marque « Z. Z. » en violation de son pseudonyme ; que son entier préjudice sera réparé par le versement d’une somme de 30 000 € dans la mesure où, notamment, ce site n’a pu que générer une confusion certaine, pendant plusieurs mois, parmi les internautes ; que le préjudice subi par la société Sony Music sera réparé par le versement d’une somme de 10 000 € ;
Attendu que M. Y. est l’agent de Mme Z. ; qu’il ne justifie d’aucun préjudice personnel en raison des faits précités ; que ses demandes ne peuvent être qu’écartées ;
Attendu que l’action engagée par M. M. présente en outre un caractère abusif qu’il convient de réparer en le condamnant à verser à M. Y. et Mme Z. . la somme de 4000 € et à la société Sony Music la somme également de 4000 € ;
Attendu que l’exécution provisoire accompagnera l’ensemble des condamnations prononcées, y compris les condamnations financières mais dans la limite de 75% de leur montant ;
Attendu qu’il n’est pas inéquitable de condamner M. M. à verser sur le fondement de l’article 700 du ncpc la somme de 3000 € à la société Sony Music et la même somme à l’ensemble des autres défendeurs ;
La décision
Le tribunal,
Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort ;
. Vu l’article L 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;
. Dit qu’en déposant la marque semifigurative « Z. Z. » sous le numéro 023161165, M. M.a agi en fraude des droits de Mme Z. . sur son pseudonyme « Z. Z. » ou « Z. Z. » ;
En conséquence :
. Annule la marque précitée pour l’ensemble des produits et services qu’elle désigne ;
. Dit qu’en faisant enregistrer et en utilisant les noms de domaine « Z. Z..com », « Z. Z.com » et « Z. Z.officiel.com », M. M .a en outre commis des actes de parasitisme au préjudice de Mme Z. . et de la société Sony Music ;
En conséquence :
. Interdit à M. M.de faire tout usage de ces noms de domaine et lui ordonne de procéder aux formalités nécessaires à leur transfert au profit de Mme Z. . et de M. Y. , sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé un délai de 20 jours à compter de la signification de la présente décision ;
. Condamne M. M. à verser à :
– Mme Z. . la somme de 30 000 € à titre de dommages-intérêts ;
– la société Sony Music la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts ;
Le condamne en outre à verser :
– à la société Sony Music les sommes de 4000 € en réparation du caractère abusif de cette procédure et de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
– à Mme Z. . et M. Y. les sommes de 4000 € en réparation du caractère abusif de cette procédure ;
– à Mme Z. ., M. Y. et la société DR Com la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
. Ordonne l’exécution provisoire de l’ensemble des dispositions précitées mais précise que l’exécution provisoire accompagnera les condamnations financières y compris celles au titre de l’article 700 du ncpc, dans la limite de 75% de leurs montants ;
. Condamne M. M .aux entiers dépens.
Le tribunal : M. Girardet (vice président), Mmes Darbois et Denoix de Saint Marc (vice présidentes)
Avocats : SCP Sicard et associés, SCP Herbert Smith, SCP Simon Tahar et Barbara Rosnay
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.