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Jurisprudence : Logiciel

mercredi 29 juin 2016
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Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Ch. 2, arrêt du 16 juin 2016

Mphasis Wyde / Protegys et Zags

communication - concurrence déloyale - concurrent - contrefaçon - jugement - motif légitime - ordonnance sur requête - preuves

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Janvier 2016 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2015068473

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Frédéric CHARLON, président et par Mme Véronique Couvet, greffier.

La SASU Mphasis Wyde déite des logiciels de développement, Wynbsure et Globalis, dédiés au secteur de l’assurance.

La SAS Protegys est un groupe d’assurance qui a créé une filiale Insurance Global Operations , devenue en 2011 la SAS Zags.

La société Zags a développé en 2012 un logiciel d’assurance dénommé IGO 6.

La société Mphasis Wyde, affirmant que ce logiciel était une contrefaçon des logiciels Wynbsure et Globalis développée avec l’aide de deux de ses anciens “développeurs”, après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon, a assigné aux fins d’expertise les sociétés Zags et Protegys devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 22 octobre 2015, le tribunal de grande instance a fait droit à la demande d’expertise judiciaire de comparaison sollicitée. Ce jugement a été frappé d’appel par la société Protegys.

La SAS Protegys et la SAS Zags, soupçonnant la société Mphasis Wyde d’avoir délibérément diffusé à leurs clients ledit jugement, non définitif et frappé d’appel, et affirmant être de ce fait victimes d’actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale, ont saisi le 10 novembre 2015 le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris aux fins de constat sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Le 10 novembre 2015, par une première ordonnance rendue sur requête, le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris, a désigné un huissier aux fins de constat pour rechercher dans les locaux de la société Mphasis Wyde, situés 6, rue Beaubourg à Paris, les preuves d’actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale du fait de la communication à leurs clients et prospects du jugement du 22 octobre 2013, non définitif et frappé d’appel.

Les sociétés Protegys et Zags ont présenté le 19 novembre 2015 une seconde requête tendant aux mêmes fins mais assortie d’une demande d’astreinte.

Par une seconde ordonnance du 20 novembre 2015, le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris a désigné un huissier de justice, dans les mêmes termes que l’ordonnance du 10 novembre 2015, assortie en outre d’une astreinte, aux fins d’accéder, dans les locaux de la société Mphasis Wyde et ceux de toute autre entreprise situés à la même adresse, à tout équipement et support informatique et espace de stockage contrôlé directement ou indirectement par Mphasys Wyde incluant notamment tout service de messagerie électronique et téléphone portable relevant de la responsabilité de la société pour collecter, à l’aide de mots clefs, tous dossiers, fichiers, documents et correspondances en rapport direct avec la communication aux clients et prospects des requérantes du jugement du 22 octobre 2015, actes de dénigrement constitutifs, selon elles, de concurrence déloyale.

Les opérations de constat ont été réalisées le 23 novembre 2015 dans les locaux de la société Mphasis Wyde.

Par actes des 7 et 9 décembre 2015, la société Mphasis Wyde a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fns de rétractation de l’ordonnance du 20 novembre 2015.

Par une ordonnance de référé contradictoire prononcée en formation collégiale et rendue le 8 janvier 2016, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, retenant l’existence d’un motif légitime constitué par la nécessité de prouver la communication d’un jugement non définitif par un concurrent direct intervenant sur un même marché, que la mesure d’instruction était suffisamment claire et précise, et qu’elle ne comportait pas un risque d’atteinte à la vie privée ou au secret professionnel, a :

– débouté la société Mphasis Wyde de sa demande de rétractation de l’ordonnance du 20 novembre 2015 ;

– dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Mphasis Wyde aux dépens de l’instance.

Autorisée à assigner à jour fixe devant la cour d’appel, la société Mphasis Wyde a interjeté appel de cette ordonnance par acte du 22 janvier 2016.

Dans ses dernières conclusions transmises le 23 mars 2016, la société Mphasis Wyde, appelante, demande à la cour de :

– infirmer l’ordonnance de référé rendue le 8 janvier 2016 en toutes ses dispositions et, notamment, en son rejet de la demande de rétractation de l’ordonnance du 20 novembre 2015.

-prononcer la rétractation de l’ordonnance aux fins de constat rendue sur requête le 20 novembre 2015 ;

– ordonner la restitution de l’ensemble des éléments mis sous scellés lors de l’opération de constat judiciaire du 23 Novembre 2015 en exécution de l’ordonnance du 20 novembre 2015 ;

– débouter les sociétés Protegys et Zags de leur appel incident et de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

-condamner les sociétés Protegys et Zags à verser chacune à la société Mphasis la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

L’appelante fait valoir :

– que la requête aux fins de constat est dénuée de tout motif légitime, les intimés ne rapportant pas la preuve des actes de publicité du jugement du 22 octobre 2015 sur lesquels ils fondent leur requête ; qu’en tout état de cause, le jugement du 22 octobre 2015 étant public, la société Mphasis n’est pas à l’origine de sa publicité ;

– que la mesure ordonnée n’est pas légalement admissible au sens de l’article 145 du code de procédure civile ; que les mots clef proposés par les intimés et acceptés par le juge des requêtes portent exclusivement sur la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de Paris ; qu’ils ne peuvent porter que sur des échanges relatifs à la procédure en cours, tant en interne qu’avec le conseil de la société Mphasis ; que la mesure se heurte aux principes essentiels de l’égalité des armes et du procès équitable ;

– que la mesure ordonnée n’étant pas strictement nécessaire, elle se heurte à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– qu’en ce qu’elle permet la divulgation d’éléments relatifs à la stratégie de procédure d’une partie à une autre, la mesure ordonnée porte atteinte au droit au procès équitable et à l’égalité des armes, est contraire à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– que les échanges saisis sont protégés par le secret professionnel entre l’avocat et son client.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 31 mars 2016, les sociétés Protegys et Zags, intimées et appelantes incidentes, demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris du 8 janvier 2016 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouter la société Mphasis Wyde de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

– condamner Mphasis Wyde à leur verser la somme de 10.000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Les intimés font valoir :

– que la mesure est fondée sur un motif légitime ; que la société Mphasis Wyde a fait obstruction volontairement et délibérément à l’exécution de la première ordonnance rendue sur requête ;

– qu’une nouvelle mesure d’instruction assortie d’une astreinte a permis de prévenir une nouvelle opposition illégitime de la société Mphasis Wyde, d’éviter une disparition des preuves et de confirmer les actes de publicité du jugement litigieux ;

-que le caractère public du jugement diffusé est indifférent, la publicité étant constituée par toute communication quelle qu’en soit la forme, destinée à le promouvoir ; qu’une telle publicité constitue un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale ; que les intimées n’auraient pas pu, sans concours judiciaire, rapporter la preuve de ces actes ;

– que la mesure ordonnée est légale, le secret professionnel ne faisant pas obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, la mesure d’instruction n’ayant révélé aucune correspondance protégée par le secret professionnel ;

– que la protection du domicile protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;

Il résulte de cet article que le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, mais qu’il doit justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions ;

Selon l’article 493 du même code, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ; en raison de cette dérogation au principe de la contradiction, il appartient au demandeur de préciser les circonstances qui justifient qu’il soit procédé de façon non contradictoire ; selon l’article 496, alinéa 2, s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance ;

Il résulte des articles 496 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé ayant rejeté la demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue ; elle est tenue d’apprécier elle-même, au jour où elle statue, les mérites de la requête au regard de l’existence d’un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement ;

En l’espèce, les SAS Protegys et Zags, ont affirmé, au soutien de leur requête que la société Mphasis Wyde “aurait procédé à la diffusion de ce jugement [du 22 octobre 2015] auprès de clients et prospects commerciaux des sociétés Protegys et Zags” alors que ce jugement, intitulé “Avant-dire droit/Expertise/Sursis à statuer”, qui les a déboutées de leur demande d’annulation de la saisie-contrefaçon du 17 juillet 2914, rejeté les irrecevabilités soulevées sur le défaut de titularité et le cumul de responsabilité et ordonné une expertise, ne contient ni condamnation ni constatation relative à d’éventuels actes de contrefaçon et qu’il s’agit, selon les requérantes, d’un jugement mixte dont elles ont interjeté appel le 23 octobre 2015 actuellement pendant devant la cour d’appel de Paris.

La cour relève que les requérantes ne fondent leur demande de mesure d’instruction présentée au juge des requêtes que sur la seule diffusion alléguée du jugement du 22 octobre 2015, non définitif, auprès de leurs clients et prospects commerciaux, ces actes de publicité de ladite décision relevant d’une concurrence déloyale sanctionnée sur le fondement de la responsabilité délictuelle (article 1382 du code civil).

Elles produisent, pour étayer leurs allégations, deux courriels des 5 et 6 novembre 2015 adressés au directeur général de Zags émanant du directeur des systèmes d’information de la Mutuelle générale, auprès de laquelle la société Zags candidate pour l’attribution d’un marché et du directeur des achats d’une de ses clientes, Axa France, informant la société Zags qu’ils ont été informés du jugement du 22 octobre 2015 et qu’une action en justice avait été engagée à leur encontre par la société Mphasis Wyde pour contrefaçon des logiciels Globalis et Wynsure ainsi qu’un troisième courriel du 6 novembre 2015 émanant d’un prospect, la société CA Consumer France, informant “dans des termes particulièrement lapidaires” Zags du rejet définitif de sa candidature pour l’attribution d’un nouveau marché, compte tenu d’un “problème de raisons technologiques”.

Par ces seuls courriels qui ne sont pas de nature à étayer leurs allégations de communication déloyale d’une décision de justice, les sociétés requérantes ne justifient pas d’éléments rendant crédibles leurs allégations, en l’espèce d’actes de dénigrement et concurrence déloyale de la part de la société Mphasis Wyde de nature à leur permettre d’obtenir, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’instruction et partant, d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, étant relevé par la cour que le jugement du 22 octobre 2015 a été rendu publiquement et diffusé sur des bases de données accessibles sur le Net, consultables par tout intéressé et/ou professionnel et n’assurant pas nécessairement l’anonymisation des décisions de justice et que la publicité des décisions de justice est un principe consacré par la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le respect du droit à un procès équitable.

Il convient en conséquence d’infirmer l’ordonnance entreprise du 8 janvier 2016 et statuant à nouveau, de rétracter l’ordonnance sur requête rendue le 20 novembre 2015 et d’ordonner la restitution de l’ensemble des éléments mis sous scellés lors de l’opération de constat du 23 novembre 2015 en exécution de l’ordonnance rétractée.

L’équité commande de faire bénéficier l’appelante des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, dans les conditions précisées au dispositif ci-après.

Parties perdantes, les sociétés intimées ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doivent supporter les entiers dépens.

DECISION

Infirme l’ordonnance du 8 janvier 2016 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Rétracte l’ordonnance rendue le 20 novembre 2015 par le juge des requêtes du tribunal de grande instance de Paris ;

Ordonne la restitution des éléments recueillis au cours des mesures d’instruction exécutées en vertu de cette ordonnance,

Y ajoutant,

Déboute les SAS Protegys et Zags de leur demande incidente formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Protegys et la SAS Zags à verser in solidum à la SASU Mphasis Wyde la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la SAS Protegys et la SAS Zags aux entiers dépens de première instance et d’appel, distraits conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Cour : Frédéric Charlon (président), Evelyne Louys (conseillère), Odette Luce Bouvier (conseillère), Sonia Dairain (greffier)

Avocats : Me Olivier Iteanu, Me Firas Mamoun, Me Grégoire Desrousseaux, Me Carine Dupeyron

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