Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance Paris 3ème chambre, 3ème section Ordonnance du juge de la mise en état 11 janvier 2006
Gifam et autres / Google France
contrefaçon - indemnisation - liens commerciaux - marques - moteur de recherche - mots clés - référencement - responsabilité - site internet
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
Par acte du 18 juillet 2005, le Gifam (Groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils d’équipement ménagers) et 19 sociétés développant leur activité dans le domaine de la fabrication et la commercialisation de tels matériels ont assigné la société Google en contrefaçon de leurs marques pour l’utilisation de celles-ci dans le cadre de l’activité publicitaire dénommé « Adwords » de cette société.
Les demandeurs font grief à la société Google de proposer à ses clients l’insertion de liens commerciaux renvoyant à leur site internet, ces liens étant déclenchés à partir de mots clés parmi lesquels figurent leurs marques, la société Google étant rémunérée en fonction du nombre de « clics » sur les liens commerciaux de l’annonceur. Ils versent aux débats le constat de l’Agence pour la Protection des Programmes réalisé les 18 et 19 avril 2005 pour établir l’existence de tels faits.
Par conclusions d’incident du 19 septembre 2005, la société Google demandait au juge de la mise en état d’enjoindre aux demandeurs de lui communiquer sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, la liste pour chacune de leurs marques des liens commerciaux apparaissant sur le site www.google.fr qu’ils souhaitent voir désactiver.
Les demandeurs sollicitaient le débouté de ces prétentions et en retour réclamaient aux fins d’évaluer leur préjudice la communication d’un certain nombre de documents.
Par une ordonnance du 12 octobre 2005, le juge de la mise en état rejetait la demande de communication de pièces de la société Google et ordonnait à celle-ci de produire :
– la liste de ses clients utilisant les marques des demanderesses visées à l’acte introductif d’instance pour l’affichage des liens commerciaux dans le cadre du système Adwords et le lien commercial correspondant à chacun d’entre eux,
– le nombre de pages visualisées par les internautes depuis le 18 juillet 2002 et faisant apparaître les liens commerciaux et ce, lien par lien,
– le système de rémunération de la société Google dans le cadre du système Adwords,
– le chiffre d’affaires de la société Google pour chaque lien commercial précité et ce, depuis le 18 juillet 2002.
Par conclusions d’incident en date du 29 novembre 2005, le Gifam et les 19 sociétés demanderesses ont saisie le juge de la mise en état aux fins de voir :
– donner acte aux sociétés Atlantic, Babyliss, Divelit Holding, Magimix, Saeco, Whirpool France et Prosperties Inc. de leur intervention volontaire dans la présente procédure,
– enjoindre à la société Google France de communiquer à l’ensemble des demandeurs sous astreinte de 30 000 € par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir les pièces suivantes :
• la liste de ses clients utilisant les marques visées à l’acte introductif d’instance pour l’affichage des liens commerciaux dans le cadre du système Adwords et le lien commercial correspondant à chacun d’entre eux,
• le nombre de pages visualisées par les internautes depuis le 18 juillet 2002 et faisant apparaître les liens commerciaux en cause et ce, lien par lien et depuis le 29 novembre 2002 pour les marques Atlantic, Thermor, Babyliss, Laura Star, Magimix, Saeco,
• le système de rémunération de la société Google dans le cadre du système Adwords
• le chiffre d’affaires de la société Google pour chaque lien commercial précité et ce, depuis le 18 juillet 2002 et depuis le 29 novembre 2002 pour les marques Atlantic, Thermor, Babyliss, Laura Star, Magimix, Saeco,
– dire et juger que le juge de la mise en état se réserve la possibilité de liquider l’astreinte,
– faire interdiction à la société Google France d’utiliser les marques Atlantic, Thermor, Babyliss, Laura Star, Magimix, Saeco, Whirpool et Laden à quelque titre et sous quelque forme que ce soit et ce sous astreinte de 5000 € par infraction constatée et par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir,
– constater qu’il n’est pas sérieusement contestable que les agissements de la société Google France sont constitutifs de contrefaçon de marque et constater que le droit à indemnisation des concluantes n’est pas sérieusement contestable,
– condamner la société Google France à verser au Gifam la somme provisionnelle de 50 000 € à titre de dommages-intérêts,
– condamner la société Google France à verser aux sociétés concluantes la somme provisionnelle de 150 000 €,
– condamner la société Google France au paiement de la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du ncpc ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans ses conclusions en réponse sur indicent en date du 8 décembre 2005, la société Google France demande au tribunal de :
– dire et juger irrecevable l’intervention volontaire des sociétés Atlantic, Babyliss, Divelit Holding, Magimix, Saeco, Whirpool France et Whirpool Prosperties Inc,
– dire et juger irrecevable et en tout état de cause mal fondée la demande d’interdiction provisoire formulée par les sociétés Atlantic, Babyliss, Divelit Holding, Magimix, Saeco, Whirpool France et Whirpool Prosperties Inc,
– dire et juger irrecevables et en tout état de cause mal fondées les demandes tendant à voir le juge de la mise en état constater que les agissements reprochés sont constitutifs de contrefaçon et à condamner la société Google France à une indemnité provisionnelle,
– en tout état de cause, débouter les demandeurs de leur demande d’injonction de communication sous astreinte à l’encontre de la société Google France,
– débouter les demandeurs de toutes leurs demande fins et conclusions,
– constater le caractère abusif du présent incident et condamner les demandeurs à verser à la société Google France la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc ainsi qu’aux entiers dépens.
DISCUSSION
Sur la recevabilité des interventions volontaires des sociétés Atlantic, Babyliss, Divelit Holding, Magimix, Saeco, Whirpool France et Whirpool Prosperties Inc
Il est constant que l’acte d’intervention volontaire, comme toutes demandes incidentes peut être formé par voie de simples conclusions.
Dès lors, l’intervention volontaire des sociétés Atlantic, Babyliss, Divelit Holding, Magimix, Saeco, Whirpool France et Whirpool Prosperties Inc est recevable, aucune disposition légale n’interdisant l’intervention volontaire de parties au stade de la mise en état.
Sur la demande d’interdiction
L’article L 716-6 du code de la propriété intellectuelle instituant une procédure particulière pour voir ordonner une mesure d’interdiction provisoire de poursuite d’actes de contrefaçon de marque, il ne peut être recouru aux dispositions de l’article 771 du ncpc donnant compétence au juge de la mise en état pour ordonner toutes mesures provisoires.
Dans ces conditions, les demandes de ce chef sont rejetées.
Sur les demandes provisionnelles
S’il n’est pas sérieusement contestable que les faits reprochés à la société Google sont fautifs et cela sur un fondement juridique qu’il n’appartient pas au présent juge de trancher (articles L 713-2 et L 713-3 du code de la propriété intellectuelle ou L 713-5 du même code ou 1382 du code civil), il n’en demeure pas moins que le préjudice consécutif à ces actes illicites a été subi par chacune des sociétés titulaires de marques et non par le Gifam, organisation professionnel qui ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du préjudice collectif subi par la profession dont elle défend les intérêts.
Dans ces conditions, la demande provisionnelle du Gifam est rejetée.
S’agissant de la demande relative aux sociétés, le présent juge relève qu’elle est formulée globalement pour l’ensemble des sociétés titulaires et doit être rejetée de ce fait, chaque société devant individualiser sa demande.
Sur la demande d’astreinte
Il ressort des dispositions des articles 134 et 137 du ncpc que le juge peut fixer à peine d’astreinte les modalités de communication des pièces par une partie.
En l’espèce, il y a lieu de relever que la société Google n’a pas produit les éléments demandés par la précédente ordonnance de référé du 12 octobre 2005 au motif que les recherches des éléments demandés seraient trop coûteuses en personnel.
Le présent juge considérant qu’effectivement compte tenu du nombre de marques en cause (31) la charge de recherche des éléments sollicités peut être lourde, enjoint à la société Google comme cela a été suggéré par les demandeurs de produire ces éléments pour les marques suivantes : Arthur Martin, Kenwood, Babyliss, Saeco et Smeg et ce, sous l’astreinte définie au présent dispositif.
Sur les autres demandes
L’équité commande d’allouer aux demandeurs une indemnité de 3000 € qui sera supportée par la société Google qui n’a pas exécuté les injonctions de communications de pièces qui lui ont été faites par l’ordonnance du 12 octobre 2005.
Compte tenu du contenu de la décision, l’introduction du présent incident n’apparaît nullement abusif.
DECISION
Par ces motifs, le juge de la mise en état, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
. Déclarons recevables les interventions volontaires des sociétés Atlantic, Babyliss, Divelit Holding, Magimix, Saeco, Whirpool France,
. Nous déclarons incompétent pour connaître de la demande en interdiction provisoire,
. Ordonnons à la société Google pour l’audience de la mise en état du lundi 6 mars 2006 à 8 heures de produire aux débats :
– la liste de ses clients utilisant les marques Arthur Martin, Kenwood, Babyliss, Saeco et Smeg pour l’affichage des liens commerciaux dans le cadre du système Adwords et le lien commercial correspondant à chacun d’entre eux,
– le nombre de pages visualisées par les internautes depuis le 18 juillet 2002 pour les marques Arthur Martin, Kenwood, Babyliss et Smeg et à compter du 29 novembre 2002 pour la marque Saeco et faisant apparaître les liens commerciaux en cause et ce, lien par lien,
– le système de rémunération de la société Google pour chaque lien commercial et ce, depuis le 18 juillet 2002 pour les marques Arthur Martin, Kenwood, Babyliss et Smeg et depuis le 29 novembre 2002 pour la marque Saeco,
– le chiffre d’affaires de la société Google pour chaque lien commercial précité et ce, depuis le 18 juillet 2002 pour les marques Arthur Martin, Kenwood, Babyliss et Smeg et le 29 novembre 2002 pour la marque Saeco,
. Disons que faute pour la société Google de produire les pièces précitées à l’audience du 6 mars 2006, celle-ci sera tenue du paiement d’une astreinte de 1500 € par jour de retard, astreinte dont le présent juge conserve la liquidation,
. Condamnons la société Google à payer aux demandeurs à l’incident la somme de 3000 € en application de l’article 700 du ncpc,
. Déboutons les parties de leurs autres demandes,
. Condamnons la société Google aux dépens de l’incident.
Le tribunal : Mme Belfort (vice présidente)
Avocats : Me François Greffe, Me Alexandra Neri
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