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Jurisprudence : Droit d'auteur

jeudi 20 décembre 2007
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 14 novembre 2007

Christine C-K / EMAS, Immanens

droit d'auteur

FAITS ET PROCEDURE

Mme Christine C.-K., qui exerce la profession d’avocat expose qu’elle a collaboré, de juin 1996 afin décembre 2003, par la rédaction d’articles, insérés dans la rubrique “lois », au journal Auto Plus, titre propriété de la société EMAS.

Elle indique qu’elle a rédigé à ce titre 358 articles principaux, 40 articles “mineurs”, ainsi que des articles qu’elle a co-signés.

Au printemps 2005, la société EMAS a mis en ligne sur le site “www.autoplus.com” l’intégralité des numéros de la revue Auto Plus qui comprennent notamment les articles que Christine C.-K. a rédigés ainsi que sa photographie, sans avoir sollicité son accord préalable.

Par acte d’huissier de justice en date des 4 et 5 janvier 2006, Mme Christine C.-K. a assigné la société EMAP France Axel Springer (EMAS) et la société Immanens devant le tribunal de grande instance de Paris pour atteinte à ses droits d’auteur.

Par dernières conclusions communiquées le 3 avril 2007, Mme Christine C.-K. demande au tribunal de :

au visa de l’article L121-8 du code de propriété intellectuelle,

constater la qualité d’auteur de Mme C.-K. des articles parus sous son nom de 1998 à décembre 2003 et dans le journal Auto Plus,

constater l’aveu judiciaire d’EMAS quant à cette qualité d’auteur,

débouter EMAS de sa demande de sursis à statuer,

faire interdiction aux sociétés EMAS et Immanens, sous astreinte de 500 € par jour et à compter du jugement à intervenir, de reproduire et diffuser les textes dont elle est l’auteur,

faire injonction aux sociétés EMAS et Immanens sous astreinte de 500 € par jour à compter du jugement à intervenir, de supprimer sa photo dans le même temps,

condamner solidairement les sociétés EMAS, Immanens à lui payer :
– la somme de 150 000 € à titre de dommages-intérêts pour atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux en qualité d’auteur,
– la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral sur le fondement de l’article 1382 du code civil,

ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir sur les supports suivants : Capital, Le Figaro, L’Automobile Magazine aux frais des défenderesses, ainsi que l’insertion de ce même dispositif sur la page d’accueil du site “www.autoplus.fr” pendant une durée de 2 mois à compter du prononcé du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 500 € par jour,

débouté les défenderesses de l’ensemble de leurs demandes,

ordonner l’exécution provisoire,

condamner solidairement la société EMAP France Axel Springer (EMAS) à lui payer la somme de 10 000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

condamne la société EMAP France Axel Springer (EMAS) aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Poisson-Harduin en application de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Par dernières conclusions communiquées le 6 mars 2007, la société EMAS (Editions Mondadori Springer) SNC demande au tribunal de :

au visa des articles 1382 et suivants du code civil, et des articles L.111-1 et suivants du code de propriété intellectuelle,

en tant que de besoin, prononcer le sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de cassation tranche la question du pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 30 novembre 2006,

mettre hors de cause la société Immanens,

déclarer Mme C.-K. mal fondée en toutes ses demandes et l’en débouter,

faire droit à sa demande reconventionnelle,

et en conséquence,

condamner la demanderesse à lui payer la somme de 10 000 € en application de l’article 1382 du code civil à titre de dommages-intérêts en raison du caractère abusif de la présente procédure initiée dans l’unique dessein de nuire,

et, en tout état de cause,

condamner la demanderesse à lui payer la somme de 2000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

condamner Mme Christine C.-K. aux entiers dépens avec distraction au profit de la société EMAS (sic) en application de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Par dernière conclusions communiquées le 18 octobre 2006, la société Immanens demande au tribunal de :

au visa de l’article 1382 du code civil,

à titre principal,

prononcer sa mise hors de cause,

à titre subsidiaire,

la débouter de ses demandes,

à titre plus subsidiaire,

condamner la société EMAS à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre,

en tout état de cause,

condamner Mme C.-K. à lui payer une somme de 2000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

condamner Mme C.-K. aux dépens avec distraction au profit de Me Olivier Iteanu en application de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur le sursis statuer

La société EMAS sollicite un sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de cassation statue sur le pourvoi formé en matière prud’homale à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 novembre 2006.

Il convient de rappeler tout d’abord que toute personne physique peut avoir la qualité d’auteur au sens du code de propriété intellectuelle quelque soit sa qualité si elle justifie avoir créé une oeuvre empreinte de sa personnalité.

La société EMAS se prévaut d’un accord d’entreprise relatif à la diffusion sur internet des articles rédigés par ses journalistes, susceptible de s’appliquer à Mme C.-K. si la qualité de journaliste salarié lui était reconnue. Elle ne précise pas à quelle date cet accord a été signé et ne produit aux débats qu’une version non signée, et non datée du dit accord. Dans ces conditions, la preuve n’est pas rapportée que cet accord s’appliquerait à Mme C.-K. même dans l’hypothèse où la qualité de journaliste salarié lui serait reconnu, la collaboration de Mme C.-K. ayant cessé depuis 2003. Dans ces conditions il n’y a pas lieu de surseoir à statuer.

Sur les oeuvres opposées

La société EMAS soutient que Mme C.-K. ne justifierait pas ses demandes au motif qu’elle ne produirait qu’un constat d’agent assermenté relatif à seulement six articles du journal Auto Plus figurant sur le site archive du site internet “www.autoplus.fr” accompagné de la mention “Par Me Christine C.-K. ».

Le tribunal observe que le dit constat du 15 octobre 2005 indique que lorsque l’on lance une recherche avec les mots clés “Christine C.” sur le site d’Auto Plus dans la rubrique Archives pour la période écoulée entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2003 on obtient l’affichage de six articles sur lesquels figurent la mention “Par Me Christine C.-K.” accompagné de la photographie de cette dernière ainsi que celui de la mention du résultat suivant “1 à 6 sur 244”. Dans ces conditions la preuve est suffisamment rapportée du fait que la société EMAS a bien mis en ligne sur internet ses anciens numéros, dont 244 comportent des articles signés par Mme C.-K.

Sur la qualité d’auteur

La société EMAS soutient que Mme C.-K. n’est pas l’auteur des articles litigieux, qu’en effet sa mission s’est bornée à fournir à son client des informations de nature juridique sur un sujet bien précis choisi par le journal Auto Plus, cette fourniture d’informations juridiques prenant la forme d’une simple consultation, d’un exposé du droit applicable et à relire et valider d’un point de vue juridique les articles rédigés par les journalistes d’Auto Plus à partir des informations qu’elle communiquait.”

L’article L 113-1 du code de propriété intellectuelle dispose que “la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée.” Il s’agit d’une présomption simple qui peut être combattu par la preuve contraire.

Dans son attestation M. Z. rédacteur en chef adjoint responsable de la rubrique explique que son rôle consistait “à définir les lignes avec Maître C., puis relire, corriger, demander des modifications diverses (complément d’info, vérifications, développement ou création de nouveaux chapitre etc..) et également réécrire une partie du texte remis par Maître C. », Les échanges de courriels entre M. Z. et Mme C.-K. établissent que cette dernière adressait au rédacteur en chef M. Z. des projets qui étaient modifiés par elle en fonction des indications donnés par celui-ci (exemples d’indication donnés à développer/vérifier/clarifier etc…) puis étaient remis en forme par ce dernier.

La société EMAS produit aux débats dix articles publiés dans le journal Auto Plus sous la signature de Mme C.-K. accompagnés du document dactylographié remis par Mme C.-K. L’examen de ces documents permet de constater que Mme C.-K. proposait de véritables articles lesquels étaient systématiquement remis en forme avant leur parution.

A titre d’exemple le tribunal relève que Mme C.-K. a communiqué le 13 mars 2003, un article sur les ronds-points publié dans le numéro 760 de la revue Auto Plus dont le début était ainsi rédigé : “Quelle agglomération n’a pas son carrefour à sens giratoire. Ces aménagements se sont multipliés. L’objectif est clair: canaliser et ralentir le trafic automobile. Les règles de priorité sur ces carrefours sont spécifiques…mais en cas d’accident il ne sera pas toujours facile d’éviter un partage de responsabilités. Un mode d’emploi est donc indispensable (…).“

Le texte publié est le suivant : “Quelle agglomération n’a pas son rond-point ou son carrefour à sens giratoire ? Objectif : canaliser et ralentir le trafic. En théorie, les règles de priorité sont claires. En pratique, ça se complique parfois, notamment en cas d’accrochage. Un mode d’emploi est donc indispensable (…)”

Ces pièces établissent que Mme C.-K. ne se contentait pas de transmettre de simples notes techniques mais communiquait de véritables articles empreints de sa personnalité. Le fait qu’ils aient fait l’objet d’une remise en forme avant leur publication est courant dans l’élaboration d’un journal s’agissant d’une oeuvre collective dont les contributions doivent s’insérer dans une maquette et correspondre aux centres d’intérêt du lectorat. Cette réécriture ne saurait détruire la qualité d’auteur de Mme C.-K.

Dans ces conditions le tribunal considère que la société EMAS ne détruit pas la présomption de la qualité d’auteur de Mme C.-K. sur les articles en cause et ce d’autant plus qu’elle qualifiait elle-même cette dernière dans l’ours de son journal de “correspondant particulier” pour le domaine de la loi au sein de son équipe de journalistes.

Sur la contrefaçon

Il est constant que l’édition électronique d’un journal constitue une oeuvre distincte du journal dès l’instant où la publication sous cette forme est analysée comme publication sur un autre support nécessitant une autorisation particulière.

En l’espèce, il n’est pas contesté que l’autorisation de Mme C.-K. n’a pas été sollicitée avant la mise en ligne des articles litigieux.

Dans ces conditions, la société EMAS a porté atteinte aux droits patrimoniaux de Mme C.-K. en application de l’article L122-4 du code de propriété intellectuelle qui dispose que : “Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou par un procédé quelconque.”

Mme C.-K. se plaint également du fait que sa photographie aurait été reproduite sur le site sans son autorIsation. Il n’est pas contesté que la demanderesse avait donné son accord à la première publication dans le journal Auto Plus de sa photographie. Sa collaboration ayant cessé avec cette revue, la preuve n’est pas rapportée qu’elle ait donné son autorisation à la mise en ligne de son image sur internet. Dès lors, c’est à juste titre qu’elle se plaint d’une atteinte à son droit à l’image.

Sur les mesures réparatrices

En l’espèce, il n’y a pas eu atteinte au droit moral de Mme C.-K., les articles diffusés sur le site internet n’ayant pas été modifiés et portant son nom d’auteur. En revanche, il y a eu une atteinte aux droits patrimoniaux de la demanderesse. Celle-ci est cependant limitée s’agissant d’articles juridiques anciens rapidement devenus obsolètes compte de la perpétuelle évolution des textes législatifs. Dans ces conditions, le tribunal possède suffisamment d’éléments pour fixer à la somme de 10 000 € la réparation de ce chef. Par ailleurs, le dommage subi par Mme C.-K. du fait de l’atteinte à son droit à l’image sera suffisamment réparé par l’octroi d’une somme de 5000 €.

Il y a lieu en outre de faire doit aux mesures d’interdiction selon des modalités précisées au dispositif.

Le dommage étant suffisamment réparé par l’octroi de dommages intérêts il n’y a pas lieu d’autoriser la publication du jugement.

Sur la mise hors de cause de la société Immanens

La société Immanens est un éditeur de logiciel de gestion documentaire et de publication électronique. Elle offre la possibilité par le biais de son service “PressView” de rechercher dans l’historique des numéros d’une publication, et de consulter une partie ou la totalité de cette publication. Dans ces conditions il est établi que cette société n’a eu le rôle que d’un simple prestataire technique.

Dans ces conditions elle doit être mise hors de cause, sa responsabilité n’étant pas engagée au titre de la contrefaçon.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

La société défenderesse sollicite la condamnation de la demanderesse pour procédure abusive. Cette demande apparaît mal fondée, le présent jugement faisant droit pour partie aux demandes de Mme C.-K.

Sur l’application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile

Il parait inéquitable de laisser à la charge de Mme C.-K. les frais irrépétibles et non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer à ce titre une indemnité de 6000 €.

Sur l’exécution provisoire

Il parait nécessaire en l’espèce et compatible avec la nature de l’affaire d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.

Sur les dépens

La société EMAS succombant dans ses prétentions doit être condamnée aux dépens.

DECISION

Le tribunal statuant, contradictoirement, en premier ressort et par décision remise au greffe,

. Dit n’y avoir lieu à sursis à statuer,

. Constate la qualité d’auteur de Mme C.-K. des articles parus sous son nom dans le journal Autoplus entre 1998 et décembre 2003,

. Dit que la société EMAS en publiant sur son site internet sans l’autorisation de Mme C.-K. les articles dont elle est l’auteur accompagnés de sa photographie a porté atteinte à ses droits patrimoniaux d’auteur et à son droit à l’image.

. Condamne la société EMAS à payer à Mme C.-K. la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour l’atteinte portée à son droit patrimonial, et la somme de 5000 € pour l’atteinte portée à son droit à l’image,

. Met hors de cause la société Immanens,

. Interdit à la société EMAS de publier sur son site internet les articles dont Mme C.-K. est l’auteur ainsi que la photographie de cette dernière sous astreinte de 150 € par infraction constatée passé un délai de deux mois suivant la signification de la présente décision, le tribunal se réservant la liquidation de l’astreinte,

. Condamne la société EMAS à payer à Mme C.-K. une somme de 6000 € en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ,

. Ordonne l’exécution provisoire,

. Condamne la société EMAS aux entiers dépens.

Le tribunal : Mme Elisabeth Belfort (président), Mmes Agnès Thaunat et Michèle Picard (vice présidents)

Avocats : Me Marie Hélène Poisson Harduin, Me Aline Jacquet Duval, Me Olivier Iteanu

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