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Jurisprudence : Marques

mardi 25 octobre 2005
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Jugement du 24 juin 2005

Amen / Espace 2001, Google

contrefaçon - marques - mots clés - nom de domaine

FAITS ET PRETENTION

Vu l’assignation en date du 1er avril 2004 aux termes de laquelle la société Agence des médias numériques, ci-après Amen, faisant valoir ses droits privatifs sur la marque « Amen ! Agence des médias numériques » déposée sous le numéro 98.75.8256 pour désigner des produits et services des classes n°9, 16, 35, 38, 41 et 42, ainsi que ses droits sur le sigle et le nom commercial Amen, fait grief à la société Espace 2001 d’avoir acquis auprès de la société Google France le mot clé Amen dans le cadre du programme publicitaire Adwords proposé par Google France pour faciliter la visibilité sur le réseau internet des créateurs de liens commerciaux, et sollicite la condamnation solidaire et avec exécution provisoire des sociétés Google France et Espace 2001 à lui verser la somme globale de 30 000 € à titre de dommages-intérêts ;

Vu les conclusions de la société Google France qui soulève l’irrecevabilité à agir de la société Amen car elle a acquis la marque postérieurement aux faits incriminés et qui, subsidiairement expose que les mots clés proposés ne sont pas des marques ; qu’ils sont invisibles pour les utilisateurs, que la création des liens commerciaux est le fait exclusif des utilisateurs du service Adwords, que le générateur de mots clés est un simple index informatisé des requêtes les plus courantes des utilisateurs du moteur de recherche de Google, que Google n’a ni imité, ni reproduit, ni utilisé la marque et le vocable Amen, qu’aucun risque de confusion n’est établi, qu’en tant qu’intermédiaire technique de référencement la responsabilité ne saurait être engagée sur le terrain de la responsabilité civile, son rôle étant celui d’un prestataire de stockage au sens de l’article 6 de la loi 2004-575 du 22 juin 2004 ;

Vu les conclusions de la société Espace 2001 qui déclare ne pas contester avoir souscrit un contrat de référencement commercial Adwords auprès de Google France, dans le cadre duquel lui fut proposée une liste de mots clés parmi lesquels celui d’Amen et qui soulève l’irrecevabilité des demandes relatives à la contrefaçon de la marque que la demanderesse a acquise postérieurement à la date de la commission des faits ;

Vu les conclusions dernières de la société Amen ;

DISCUSSION

Sur la contrefaçon de la marque « Amen ! Agence des médias numériques »

Sur la recevabilité de l’action

Attendu que cette marque fut déposée sous le numéro 98.758.256 pour désigner entre autres produits et services : les appareils pour le traitement de l’information, les ordinateurs, la gestion des affaires commerciales, les fichiers informatiques, les télécommunications, la communication par terminaux d’ordinateurs, la location de temps d’accès à un serveur de bases de données…etc ;

Attendu que la société Amen exerce une activité d’hébergement de sites internet et d’enregistrement de noms de domaine, sous l’acronyme et le nom commercial Amen, depuis son site internet accessible à l’adresse www.amen.fr ;

Attendu que la société Espace 2001, de taille certes plus modeste, exerce la même activité, principalement la réservation de noms de domaine et accessoirement l’hébergement de sites internet ;

Attendu que la société Amen a, par acte du 28 janvier 2004, acquis de M. C. la propriété de la marque 98.758.256 ; que cette cession a été inscrite au registre national des marques (RNM) le 20 février 2004 et est donc opposable aux défenderesses par application de l’article L 714-7 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que toute transmission des droits attachés à une marque enregistrée doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au RNM ;

Attendu que les faits incriminés ont pris naissance antérieurement à la publication de la cession ; que le cessionnaire est néanmoins recevable à agir en réparation de ceux-ci dès lors qu’il est investi de l’intégralité des droits attachés à la marque ce que précise l’acte de cession en ces termes :

« la présente cession emporte le droit pour le cessionnaire d’agir en contrefaçon à l’égard de toutes personnes ayant commis des actes de contrefaçon antérieurs ou postérieurs à ladite cession » ;

Attendu que la société Amen est dès lors recevable à agir en réparation d’actes commis antérieurement à la date d’acquisition de la marque ;

Sur les actes de contrefaçon

Attendu que la société Amen relève que la société Espace 2001 a souscrit au programme publicitaire Adwords de la Google France laquelle lui a suggéré par son outil de gestion des mots clés, une liste de mots clés parmi lesquels figurait le terme « Amen » destinée à améliorer la visibilité de son site sous la forme d’un lien hypertexte Adwords chaque fois que les internautes saisissait la requête « Amen » dans le moteur de recherche Google ;

Attendu que Google France fait valoir que l’espace réservé à Adwords sur la page des résultats est limité, car l’affichage des liens commerciaux reste accessoire et clairement distinct des résultats classiques ; qu’elle souligne qu’elle ne vend pas de mots clés, ni même n’accorde une exclusivité sur un mot clé à tel ou tel exploitant et que la rémunération qu’elle perçoit n’est pas fonction du nombre de mots clés choisis par un éditeur, mais du nombre de clics reçus par un lien ;

Attendu, ceci étant rappelé, que l’offre faite par Google France consiste donc à proposer aux annonceurs de faire apparaître sur une partie de l’écran qui rend compte du résultat de la recherche, l’adresse de sites associés à un court message promotionnel et à classer ces sites non pas selon un classement de pertinence mais, nécessairement, selon le coût que l’annonceur est disposé à verser ;

Attendu qu’ainsi, l’opérateur qui veut souscrire en ligne un programme Adwords est invité à consulter, s’il le souhaite, un « générateur de mots clés » qui lui proposera alors une liste des mots clés les plus souvent utilisés dans le secteur considéré, cette liste étant établie à partir des requêtes des internautes ;

Que les termes utilisés par Google France pour présenter le service fourni par le « générateur » sont les suivants : « Trouvez de nouveaux mots clés qui peuvent vous aider à améliorer la pertinence de votre annonce. Si votre annonce cible des mots clés en requête large, vous identifierez des termes supplémentaires qui seront susceptibles de déclencher l’affichage de votre annonce » ;

Attendu qu’en l’espèce, Google a suggéré à la société Espace 2001 de choisir divers mots clés parmi lesquels figurait le signe « Amen » ;

Attendu que, dans le cadre de ce service de générateur de mots clés, c’est Google et non pas l’annonceur qui fait apparaître à l’écran le terme litigieux ;

Que l’apparition de ce signe est réalisée en fonction de l’activité menée par l’annonceur ; qu’il s’agit en effet pour Google de proposer des mots clés pertinents ;

Attendu que si, in fine, c’est l’annonceur qui choisira les mots clés et les termes de son annonce, il demeure que la société Google joue un rôle actif en lui proposant et même en l’incitant à choisir tels ou tels termes à titre de mots clés, au regard de l’activité qu’il poursuit ;

Attendu que le terme « Amen » constitue l’élément, détachable de la marque « Amen ! Agence des médias numériques » ; qu’il est en lui-même porteur de distinctivité et protégeable par le droit des marques ;

Attendu que l’apparition à l’écran du signe « Amen » est, comme précisé ci avant, le fait de Google pour aider l’annonceur à attirer les internautes sur son site sur lequel sont proposés des services identiques à ceux couverts par la marque (communication par terminaux d’ordinateurs, location de temps d’accès à autre serveur de bases de données, télécommunications…) ;

Attendu qu’il suit que le mot clé litigieux « Amen », une fois retenu par l’annonceur, va permettre de faire apparaître, en réponse à la requête Amen, à droite des résultats de recherche, la présence d’un lien commercial pointant vers le site de la société Espace 2001 qui est de nature à créer un risque de confusion lequel comprend un risque d’association entre les sociétés Amen et Espace 2001 ;

Attendu dès lors que Google qui a proposé et fait apparaître le signe « Amen » pour les services considérés, et Espace 2001 qui l’a choisi, ont commis des actes de contrefaçon au sens de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que Google a assis sa rémunération sur la fréquentation des sites ; qu’elle a proposé avec Adwords un service distinct de celui offert dans le cadre de son activité de moteur de recherche qui n’est pas ici en cause ; que le service Adwords est un service commercial qui exclut que Google puisse bénéficier, pour ce service, du statut d’intermédiaire technique, prestataire de stockage ;

Sur les actes de concurrence déloyale

Attendu que la reprise ci-dessus décrite du terme « Amen » qui est aussi le sigle et le nom commercial de la société demanderesse, constitue un acte de concurrence déloyale au préjudice de cette dernière, dans la mesure où l’internaute sera enclin à associer les sociétés en présence ;

Sur les mesures réparatrices

Attendu qu’il sera fait droit dans les termes du dispositif ci après aux mesures de suppression et d’interdiction sollicitées ;

Attendu que la société Google maintient avoir réagi promptement en supprimant dès le 4 novembre 2003, le lien commercial litigieux de sorte que la société Espace 2001 n’apparaît plus désormais en réponse à la requête « Amen » ;

Attendu qu’elle affirme que, depuis cette date, aucun annonceur ne peut faire usage du terme « Amen » à titre de mot clé ;

Attendu qu’il résulte en effet du constat de Me Legrain, huissier de justice, en date du 6 avril 2004, que l’affichage des liens commerciaux n’est plus généré par la requête au nom d’Amen ;

Attendu qu’en l’absence d’élément versé aux débats sur la durée pendant laquelle fut affiché le lien hypertexte litigieux, le préjudice subi par la demanderesse en réparation de la contrefaçon de sa marque et de l’atteinte portée à son sigle et à son nom commercial sera réparé par le versement d’une somme globale de 12 000 € à titre de dommages-intérêts, outre 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

Attendu que l’exécution provisoire accompagnera la mesure d’interdiction et de suppression ;

DECISION

Le tribunal, statuant en audience publique par jugement contradictoire et en premier ressort ;

. Déclare recevable l’action en contrefaçon de la marque « Amen ! Agence des médias numériques » n°98.75.8256 ;

. Dit qu’en proposant à l’annonceur le mot clé « Amen » et en affichant, lors de la saisie de requêtes intégrant ce mot, un lien hypertexte publicitaire pointant vers le site internet de la société Espace 2001, la société Google France a commis un acte de contrefaçon par imitation de la marque précitée ;

. Dit que la société Espace 2001 a pareillement commis un acte de contrefaçon par le choix qu’elle fit du mot clé « Amen » pour créer le lien hypertexte pointant vers son site qui propose des produits et services identiques à ceux visés à l’enregistrement de la marque ;

. Dit que les défenderesses ont en outre porté atteinte au nom commercial et au sigle de la société Amen ;

En conséquence,

. Ordonne à la société Google France de supprimer de son générateur de mots clés accessible sur son site internet www.google.fr, toute référence totale ou partielle aux signes « Amen ! Agence des médias numériques », sous astreinte de 1000 € par jour de retard à compter de la signification de la présente décision ;

. Interdit aux défenderesses de faire tout usage de la marque considérée sous les mêmes conditions d’astreinte ;

. Ordonne l’exécution provisoire de ces mesures ;

. Condamne in solidum les sociétés Google France et Espace 2001 à verser à la société Amen les sommes de 12 000 € à titre de dommages-intérêts et de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ainsi qu’à supporter les entiers dépens qui seront distraits au profit de Me Fabre, avocat, dans les conditions de l’article 699 du ncpc ;

. Rejette toute autre demande.

Le tribunal : M; Girardet (vice président), Mmes Darbois et Renard (vice présidentes)

Avocats : Me Cyril Fabre, Me Camille Bauer, Me Alexandra Neri

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.